Effet bœuf ~ La Vache !

Décryptage Vache

Décryptage de la semaine

À l’occasion de la journée de la vache [1], O’Parleur consacre un billet à l’éminent ruminant et aux expressions le mettant en scène. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y en a… vachement beaucoup !

 

Un mot qui confine aux génisses !

Vache, nom féminin, est issu (fin IXe siècle) du latin classique vacca pour « femelle du taureau ».

Décryptage Faire un effet bœuf
Elle lui a fait un effet bœuf !

On peut le rapprocher du sanskrit vaçá, qui qualifie la génisse qui vêle pour la première fois[2]. On emploie le mot, qui conserve le sens de l’étymon, dans de très nombreuses locutions, dont beaucoup ont disparu aujourd’hui.

Ces emplois retiennent essentiellement des caractéristiques physiques de l’animal ou des comportements qui lui sont attribués :

  • Dormir comme une vache pour « profondément » (1492) ;
Décryptage Vache
Ne pas déranger…
  • Poil de vache « très roux » (1534, Rabelais), d’où (être) roux en vache (1694) ;
  • Aujourd’hui, on parle de queue de vache pour qualifier une couleur d’un roux jaunâtre ;

Les globe-trotters se rappellent avec émotion du pays de vache « pays natal » (1552, Marot), lui aussi sorti d’usage ; il en va de même pour courir la vache « marauder » (1690). En revanche, on emploie toujours plancher des vaches (1552)[3] qui désigne la « terre » (en opposition à « mer »).

Décryptage Vache
Exemple de vaches sur… le plancher des vaches !

 

Quelques proverbes « au lait au lait »

Nous continuons notre exploration à travers le temps avec une expression qui n’aurait pas déplu à Orwell. Vache à lait (1551) « personne qu’on exploite » se dit toujours.

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On atteste d’autres proverbes au XVIIe siècle, comme chacun son métier et les vaches seront bien gardées (in. Furetière 1690). N’oublions pas parler latin puis parler français comme une vache espagnole (1627), encore usuels.

Décryptage Vache
En voilà deux qui ont tout compris aux « cours de langues »…

On relève ensuite cela lui va comme un tablier à une vache pour « pas du tout » (1876) ; une vache n’y trouverait pas ses petits, pour parler d’un grand désordre (1876). Enfin, les amateurs de poésie et de météorologie déclameront avec lyrisme il pleut comme vache qui pisse, pour « beaucoup » (1876).

Sauve qui pleut !

Bouillon d’agriculture

Le mot entre également comme complément d’un nom de végétal dans des syntagmes très variés, d’emploi régional, pour designer des plantes, tels :

Blé de vache « mélampyre » (1557)
Herbe aux vaches « hellébore noire » (1732)
Herbe à vaches « trèfle des près » (1845)
Arbre à la vache « galactodendron » (1872) ou brosimum utile aujourd’hui

Par analogie de forme, le mot sert aussi à nommer d’autres animaux d’apparence comparable :

Diverses espèces d’antilope, comme vache de Barbarie (1690) ou Bubale ; mais aussi vache bleue (1791), vache blanche (1842)…
Le yak (vache de Tartarie, 1776)
Et même le dugong (vache marine, 1764), de la famille des lamantins !

Ce ne sont là que quelques exemples d’une série où bœuf et veau figurent aussi.

Dans le vocabulaire technique nucléaire et par une métaphore obscure, vache à radioélement (avant 1970) désigne un radioélément à vie longue utilisé pour obtenir un radioélément a vie courte. Vous savez tout ! (Ou pas…)

 

La vache, une vraie dure à cuir !

Par ailleurs, le mot désigne depuis l’ancien français la peau préparée de l’animal (1260-1270). Vaichin (fin XIIe siècle) et vachin (1346), dérivés disparus, lui font longtemps concurrence, comme l’expression cuir de vache (1407, cuir de vaque).[4]

Il apparaît aussi dans le syntagme vache en grain (1690) puis à grains (1845). De « cuir » vient le sens disparu de « coffre de voyage recouvert de cuir » (1798), d’où l’emploi moderne de « sac en cuir ».

Décryptage Vache
De malle en pis !

Au sens de « viande », le mot n’est attesté qu’en 1660. Cette métonymie est devenue rare, dans la mesure ou la viande en question est nommée génisse en boucherie et bœuf dans l’usage courant. Notons toutefois la locution figurée manger de la vache enragée en 1611. Au début du XVIIIe siècle, elle signifie « mener une vie de dures privations » ou « vivre dans la misère ». Par la suite, elle connaît un glissement de sens  vers : « être énervé, excité ou de mauvaise humeur ».

 

Poltronne et sofa

Par métaphore, on emploie le mot au sens de « femme, mère » (vers 1462).

Ainsi, on disait d’un goujat qu’il préférait laisser la vache et le veau pour « abandonner une femme enceinte » (vers 1572). Par opposition, prendre la vache et le veau (1622) signifiait « épouser une fille-mère et reconnaître l’enfant » ; ces deux locutions ont disparu.

Même les buffles peuvent être des mufles….

Puis un double sémantisme se développe, celui de la grossièreté et celui de la mollesse, de la lourdeur.

Faire la vache signifie « se prostituer » (1640), le mot désignant une femme grossière, sale (1680) et spécialement une prostituée (1740). En outre, il désigne populairement :

  • Une femme trop grosse (1694, puis 1718) ;
  • Et une personne lâche, fainéante, poltronne (1690), acception reprise en argot en parlant d’un homme (1866, adjectif ; 1888, nom).[5]

Ces emplois ont disparu du fait de l’apparition d’une autre valeur familière (ci-dessous) : celle de la méchanceté.[6] Quant à l’idée de mollesse[7], elle explique le sens de l’argot ancien il fait vache pour « il fait chaud » (1889), qui ne serait plus compris aujourd’hui.

 

La vache qui rit ne plaisante pas

On relève à la fin du XVIIe siècle ruer en vache « du pied de derrière et sur le côté » (1694). Cette locution concerne d’abord le cheval. Elle disparaît mais on la reprend sous la forme figurée donner un coup de pied en vache pour « nuire à quelqu’un par en-dessous » ; d’où familièrement un coup vache.[8]

C’est à ce sémantisme que se rattache l’usage familier de vache pour « agent de police » (1879 en argot), « délateur » et « personne méchante » (attesté en 1900 chez Mirbeau)[9]. C’est aussi de là que viennent peau de vache (emploi appellatif) et l’emploi intensif pour désigner une personne dont on se plaint (une vache de…).

 

Tout le monde il est bovin, tout le monde il est gentil

Auparavant, on utilisait le terme  pour qualifier quelque chose de bon ou de beau (1880 : en adjectif attribut ; 1925 : forme intensive).

La forme exclamative (ah, la vache !), exprimait d’abord une situation désagréable avant de devenir un intensif d’admiration, en relation avec l’adverbe vachement[10] (une vache de belle bagnole). [11]

Décryptage Vache
Au hasard, une LIMOUSINE…

C’est ainsi que se conclut ce tour d’horizon presque complet[12] des aventures de la vache en langue française. Entre bovidé de génie et pâturage de raison, elle n’a pas à mugir de ses exploits !

Hannibal LECTEUR, Qui m’aime meuh suive !

Décryptage Vache

En bonus : Made in Normandie Stone et Charden (1973)

 

Notes et références – La Vache !

[1] D’après le calendrier révolutionnaire français.

[2] On désigne le mâle et la femelle des animaux domestiques par le même mot dans le vocabulaire général de l’indoeuropéen.

[3] D’abord sous la forme plancher de vache (1552, Rabelais).

[4] Vachette, nom féminin, réfection (XVe siècle) de vachete (fin XIIe siècle) signifie « petite vache » (on a aussi dit vachelette, 1611) et aussi « cuir de jeune vache » (1679, vaquette).

[5] Vachard, arde, adjectif, sorti d’usage au sens de « mou, paresseux » (1867), a été repris pour qualifier une personne méchante (1918), d’où vachardise n. f. (milieu XXe siècle).

[6] Sauf (c’est une) grosse vache, appliquée à une femme ou à un homme.

[7] Cf. avachir également.

[8] Vacherie, nom féminin, réfection (1530) de vacerie (vers 1160) a désigné un troupeau de vaches, ainsi qu’un droit de pacage (pâturage) pour les bêtes (1380) ; le mot signifie encore régionalement « étable à vaches » (1336). Il s’est dit en particulier (1690) d’un endroit où l’on vend le lait trait sur place.

Des sens figurés du mot viennent les emplois disparus pour « veulerie » (1867 ; cf. le verbe vacher « être lâche », 1867, Flaubert) et pour « maison de prostitution » (1884). Il s’agit alors d’une nouvelle dérivation, comme pour le sens moderne « caractère d’une personne méchante » puis « d’une chose désagréable » et, par métonymie, « action, parole méchante » (1872), spécialement dans vacherie de (suivi d’un nom), et aussi « situation pénible » ou même « chose mauvaise, de mauvaise qualité » (XXe siècle), cf. cochonnerie.

 

[9] L’idée du coup hypocrite et nuisible a pu se joindre au sémantisme négatif de « grosse femme », puis « prostituée », devenu terme d’injure sans contenu précis, comme chameau, pour produire cette valeur.

[10] L’adverbe vachement est vieilli au sens de « méchamment » et s’emploie comme intensif dans l’usage familier pour « beaucoup, très » (XXe siècle), en concurrence avec vachtement et même avec vachte (c’est vachte beau).

[11] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

[12] Voici les dérivés qui n’ont pas trouvé leur place dans l’article. Vacher, ère, nom et adjectif, est la réfection (1553 au masculin ; 1606 au féminin) de vachier (vers 1200 ; avec la variante vaquier) (1283) et vachiere (1348). Il désigne une personne qui mène paitre les vaches et, en général, les bovins (cf. bouvier).

Vacherin, nom masculin (1605 ; antérieurement fromage vachelin), emprunte aux parlers de la Suisse romande (XVe siècle). Il se dit d’un fromage de Franche-Comté. Par analogie d’aspect (1906), le mot désigne une meringue à la crème fraiche.

Enfin, vaquero nom masculin est un emprunt à l’espagnol (1847), lui-même dérivé de vaca, du latin vacca.  Il désigne un vacher, un conducteur de taureaux, dans un pays de langue espagnole ; la variante vaqueiro (1822) est portugaise.

Retrouvez notre précédent Décryptage Sainte-Nitouche