QUI GARDERA LES GARDIENS ?
QUI GARDERA LES GARDIENS ?

Utopie / Dystopie ~ QUI GARDERA LES GARDIENS ?

Utopie / dystopie… L’une ne va pas sans l’autre ! Créer une société idéale part toujours de bonnes intentions. Et les bonnes intentions, l’Enfer en est pavé…

O’Parleur vous propose la réédition de cette nouvelle qui met à l’honneur Panopticopolis, une utopie / dystopie dont vous n’oseriez pas rêver. Même dans vos pires cauchemars ! Avec l’aimable autorisation de son auteur.

 

QUI GARDERA LES GARDIENS ? (« Quis custodiet ipsos custodes ? », Juvénal)[1]

 

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PROLOGUE

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« Surveillance générale de la population, vigilance muette, mystérieuse, inaperçue… C’est l’œil du gouvernement incessamment ouvert et veillant indistinctement sur tous les citoyens sans pour cela les soumettre à aucune mesure de coercition quelconque… »

Michel FOUCAULT, Surveiller et Punir (1975)

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Au commencement, une expérience excitante : « une technique d’observation nouvelle transcendant l’école, la médecine et la loi, afin de construire un avenir meilleur en corrigeant tout obstacle au bon fonctionnement de notre société. A l’aide des dernières avancées en matière de reconnaissance vocale, digitale, biométrique et de la nanotechnologie, l’homme, cet étrange animal, s’améliore et devient plus fiable. »

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PANOPTICOPOLIS

Veille Sur Vous

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Utopie Dystopie Panopticopolis

Analyse en cours….

Test Oculaire…

Empreinte Digitale…

Reconnaissance Vocale…

Vérification des Paramètres Biométriques…

Transmission des données….

Identification Terminée. BIENVENUE !

Une cellule individuelle dont chaque surface est un miroir. Le mobilier, transparent à cause des miroirs, permet d’y vivre très correctement. Et au milieu, MOI. J’ai ce sentiment étrange d’une présence omnisciente, invisible, qui me surveille constamment. Cela fait 56 jours que je vis ici. Dans un monde plus sûr.

Utopie / dystopie - Qui gardera les gardiens ?
Pas de panique : tout est sous contrôle. Absolument tout.

[…] Je suis l’un des premiers volontaires à avoir intégré la « cité de demain ». Au vu des derniers événements, je pense que c’est une sage décision. Nous devions agir et enrayer le cycle de la violence et du fanatisme. Certains crient à la dictature et à l’emprisonnement volontaire, mais nous ne sommes pas en prison. Aucun gardien, aucune répression. Juste la technologie au service de l’homme pour le servir et le protéger. Grâce aux nouveaux procédés de sécurité et aux nanomachines implantées dans mon corps, je suis assuré de rester en bonne santé, d’être protégé où que je me déplace dans la cité et qu’aucun intrus ne pourra s’introduire ici, sous peine d’être immédiatement repéré et neutralisé.

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119ème jour. LE RAPPORT GOUVERNEMENTAL CONFIRME LA RÉUSSITE DU PROJET, QUI S’ÉTEND A L’ÉCHELLE NATIONALE.

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135ème jour. Nous avons cru entendre une explosion aujourd’hui. Certains évoquent une attaque contre nous. Un nouveau venu a parlé d’un « groupe des libertés fondamentales » qui s’opposerait au projet. Sûrement des réactionnaires enragés ou des démagogues bienpensants…

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197ème jour. L’UNITÉ, C’EST RENONCER A TOUTE SINGULARITÉ.

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250ème jour.  Je… Je crois que j’ai fait une terrible erreur. L’ambiance est de plus en plus oppressante ici. Je sens constamment cette présence étouffante dans ma cellule et ces fichus miroirs me rappellent qu’il y a toujours quelqu’un pour m’observer. […] Aujourd’hui, je suis sorti et j’ai réalisé que les gens commencent à changer. Ils semblent… absents. J’ai également cette sensation d’être hors de moi-même, comme si je n’étais plus maître de mon destin.

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308ème jour. UNE DISCIPLINE UNIQUE POUR UNE MULTIPLICITÉ OBÉISSANTE.

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342ème jour. Je ne supporte plus cette cellule ! Je sens ces rayons invisibles qui me transpercent à travers les murs, 24 heures sur 24. C’est comme une brûlure ! Mes nanomachines communiquent en permanence avec le Système. Où je vais, ce que je touche, ce que je vois, bois, mange, écoute, dis : impossible d’agir sans que ce soit enregistré. On sait même ce que je vais penser et faire avant moi ! Mais je ne céderai pas, je peux encore penser librement et… et… Non ! Le Système a mesuré ma tension artérielle… et… sent mon énervement…. Les nanomachines secrètent des hormones pour m’apaiser… m’influencer…  NON ! …. Résister… Rester…. Conscient….

Utopie / Dystopie


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PANOPTICOPOLICE

Vous Sur Veille

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Utopie dystopie Panopticopolice

??? jours. C’est fini. L’Homme voulait un monde sans violences, sans intégrisme, sans corruption ni maladies. Le Système a créé un monde sans libertés et sans âme. En moins d’un an….

Je ne dois plus m’inquiéter de rien, on s’occupe de tout : manger, dormir, respirer, obéir, ce que je suis, qui je suis…

Qui suis-je, d’ailleurs ? Peut-être Jeremy Bentham[2], Winston Smith[3], Lemmy Caution[4], Evey Hammond[5]

 

ET VOUS ?

 

B.R.

 

Notes et références

[1] Locution latine attribuée au poète romain Juvénal (env. 47-128). Extraite de la sixième de ses satires, cette citation visait les gardiens que les citoyens romains chargeaient de veiller sur leur maison en leur absence et que l’auteur accusait de manquer à leur devoir.

[2] Jeremy BENTHAM (1748-1832) est l’inventeur du panoptique, un type d’architecture carcérale permettant à un gardien, logé dans une tour centrale, d’observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir qu’ils sont surveillés.

[3] Winston Smith est le protagoniste principal du roman 1984, de George ORWELL (1949). Ce roman d’anticipation nous plonge dans une dystopie où le totalitarisme, la surveillance totale et la manipulation de la mémoire collective règnent en maîtres. Big Brother, figure allégorique de ce régime totalitaire, est devenu le symbole de l’oppression, de la dictature et de la censure dans l’imaginaire collectif.

[4] Lemmy Caution est le protagoniste principal du film Alphaville, de Jean-Luc GODARD (1965). Dans le futur, l’agent secret Lemmy Caution est chargé d’infiltrer Alphaville, cité régie par l’ordinateur Alpha60 et où les sentiments sont prohibés, afin d’éliminer le professeur Von Braun.

[5] Evey Hammond est l’héroïne du roman graphique V for Vendetta (1982-1990), d’Alan MOORE & David LLOYD. Dans un monde post-apocalyptique, l’Angleterre est dirigée par le parti fasciste Norsefire, qui a pris le pouvoir après avoir procédé à une épuration ethnique, politique et sociale. V, un mystérieux anarchiste portant un masque à l’effigie de Guy Fawkes (emblème de la conspiration des poudres – 5 novembre 1605), entreprend de faire tomber cette dictature en s’attaquant minutieusement à chacune de ses institutions. Lors de son premier coup d’éclat (la destruction du Palais de Westminster), il sauve Evey Hammond des hommes de Norsefire. Commence alors une lutte idéologique et guerrière qui va métamorphoser la société et les différents protagonistes.

 

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