Décryptage de la semaine
Avec ses airs de ne pas y toucher, O’Parleur évoque aujourd’hui la sainte-nitouche. Révélations en vue dans un décryptage moins innocent qu’il n’y paraît…
Couvrez ce saint que je ne saurais voir toucher !
Digne de figurer auprès de Saint-Glinglin dans le calendrier fictif, Sainte-Nitouche est une création littéraire assez ancienne. Mais qui a consacré cette union aussi sacrée qu’insolite ?
D’un côté, il y a le saint (1050)[1] qui s’applique d’abord à Dieu dans la religion chrétienne. ; il signifie alors « souverainement pur et parfait ». Il désigne également ceux qui sont admis dans le séjour des bienheureux[2]. Le nom désigne (fin Xe siècle) une personne qui, après sa mort, est l’objet d’un culte de la part de l’Église catholique.
Depuis le XIe siècle, l’adjectif qualifie (1050) ce qui appartient à la religion chrétienne, ce qui est destiné à des usages sacrés[3]. Il s’applique également (1050) à une personne pure et vénérable, à une chose, à une action, qui inspire ou doit inspirer de la vénération.[4]
Nitouche pas à mon pote ma sainte !
De l’autre, il y a nitouche, nom féminin, issu par contraction (1534) de la locution n’y touche pas[5]. L’expression apparaît pour la première fois chez Rabelais, qui l’emploie dans Gargantua (1534) sous la forme de… Saincte Nytouche :
Croyez que c’estoyt le plus horrible spectacle qu’on veit oncques.
Les cryoient saincte Barbe ;
Les aultres, sainct George ;
Les aultres, saincte Nytouche ;

Le mot désigne familièrement une personne qui affecte l’innocence. À l’origine, il désigne spécialement une femme de mœurs faciles qui affecte la pruderie[6]. Aujourd’hui, il désigne plus généralement toute personne qui contrefait la sagesse ou la dévotion, dissimulant des intentions contraires. En bref : de faux innocents mais de vrais hypocrites.
Il y a des coups de pieds au culte qui se perdent !
Hannibal LECTEUR, n’aime pas être mis sur la sainte-nitouche
En bonus : La bonne du curé ♫ Annie Cordy (1975)
Notes et références – Sainte-Nitouche
[1] Saint, sainte, adjectif et nom, est issu (1050), par l’intermédiaire de sancz (fin Xe siècle, adjectif et nom masculin) et sanz (vers 980), du latin sanctus adjectif, « rendu sacré et inviolable ».
Sanctus prend ensuite le sens du grec hagios (cf. hagio) qui avait lui-même reçu la valeur de l’hébreu qādôš (et qōdeš « sainteté ») chez les juifs et les chrétiens.
Du sens de « consacré, établi », on passe à des acceptions essentiellement morales : « vénérable », « vénéré », « vertueux » puis, dans la langue de l’Église, « saint ».
[2] Dans ce cas, il s’emploie écrit avec une minuscule devant le nom propre.
[3] D’où le saint lieu « l’église, le temple » (vers 1120) ou le lieu saint (1235), l’Écriture sainte, etc. Au XVIe siècle, le lieu saint est le sanctuaire précédant le saint des saints, chez les Hébreux (1564) ; les lieux saints (1564) ou les saints lieux (1690, sorti d’usage) se dit des lieux de la Terre sainte où le Christ a vécu.
sainte-nitouche
[4] Au milieu du XIIe siècle, on emploie saint pour « chrétien ». Au pluriel (1172-1174, sainz), le terme désigne les reliques des saints. Le saint des saints, par calque du superlatif hébreux, se dit (XIIIe siècle) de la partie du tabernacle où l’on enfermait l’arche d’alliance, dans le temple de Jérusalem ; l’expression prend beaucoup plus tard (1845) la valeur figurée de « partie la plus reculée, partie cachée (d’une maison, etc.) » ; puis « partie secrète (d’une entreprise, etc.) ». L’expression mal de saint s’emploie pour une maladie pour laquelle on demandait l’aide d’un saint (vers 1375), d’où le sens de « sans remède (humain) ». Quant à malade de saint « épileptique » (vers 1375), il se dit encore à la fin du XIXe.
Les requêtes adressées aux saints expliquent la locution ne savoir à quel saint se vouer « ne plus savoir comment se tirer d’affaire ».
[5] Cf. toucher.
[6] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
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