Décryptage de la semaine
Pudding ! Une expression qui reprend l’un des éléments de Noël… mais qui n’a aucun rapport avec l’événement ! C’est Noël en décalé et c’est chaque vendredi pendant les fêtes sur… Ho Ho Ho’Parleur !
Quand culinaire rime avec nucléaire…
Oui, oui, vous avez bien lu. On emploie le terme plum-pudding pour désigner le modèle atomique de Thomson. Ayant déjà découvert l’atome en 1897, Joseph John Thomson propose ce modèle en 1904, avant la découverte du noyau simplifié.
Ici, l’atome est composé d’électrons – des charges négatives – plongés dans une « soupe » de charge positive. Un peu à la manière des prunes (en anglais : plum) dans un pudding[1].

Ce modèle fut également appelé « modèle du cookie aux pépites de chocolat » ou « modèle du muffin aux airelles ». Donc, oui : culinaire rime avec nucléaire ! Et quid des expressions françaises ?
Lost in Translation ou La preuve par le pudding ?
Il n’y a pas d’expression française utilisant le pudding. Ça commence bien… En revanche, il existe une locution dont seuls nos voisins grands-bretons ont le secret ! En effet, nos amis d’Outre-Manche nous régalent avec the proof of pudding. La « preuve du pudding ». Hormis un (savoureux) polar culinaire, l’énoncé n’évoque pas grand-chose.

Il s’agit pourtant d’une expression ancienne. Le très sérieux Oxford Dictionary of quotations estime qu’elle existe depuis le XIVe siècle. Plus surprenant, on en attribue la paternité partielle à… Cervantès et à son Don Quichotte ! Pourquoi partielle ? Car c’est un traducteur du XVIIIe siècle, Peter Motteux, qui traduit l’espagnol en « the proof of the pudding is in the eating »[2]. Soit : la preuve du pudding est dans sa dégustation.

Cette expression signifie que, pour juger pleinement de l’efficacité d’un objet, il faut l’utiliser conformément à son usage.
Pudding : un mot qui fait du boudin ?
La science et la littérature, c’est bien sympathique. Mais à l’approche des fêtes, ce qui nous intéresse, c’est la cuisine ! Tout le monde connaît le pudding, ce gâteau aux fruits délicieux. Sauf que… à l’origine, l’anglais pudding[3] désigne… le boudin (singulier, XIIIe siècle) ou un « boyau » (pluriel, XVe siècle). Il s’agit d’une méthode de préservation de la viande. C’est une sorte de boudin consistant en un estomac ou un boyau empli de viande hachée. On assaisonne le tout de divers ingrédients (fruits secs, sucre, épices…). Enfin, on le fait bouillir et on peut le conserver un certain temps (1305).

Probablement à cause de sa cuisson dans un sac ou une poche de tissu, il est devenu le nom d’un mets dont les éléments sont liés par une pâte molle ou une croûte (vers 1550)[4].

Au XVIIIe siècle, les techniques de conservation de la viande évoluent. Si les puddings salés restent importants, les recettes sucrées prennent de plus en plus d’importance.
Poudingue de toi
Le pudding apparaît chez nous en 1678. La graphie anglaise fait concurrence à poudin (1752, Trévoux) pour le gâteau sucré que l’on prépare traditionnellement à Noël en Grande-Bretagne. Son autre nom ? Le plum-pudding (mais nous y reviendrons plus tard).
L’ancienne prononciation du mot se reflète dans la graphie poudingue réservée à un terme de géologie[5].

Par extension, pudding désigne toute préparation molle et farineuse typique de la cuisine anglaise (1857).
En France, les boulangers proposent également leur « pudding ». Il s’agit d’un gâteau fait avec du pain rassis, des raisins secs et du lait. Il existe aussi une variante régionale dans le nord de la France, le poudin[6].
Les brunes comptent pas pour des plum (pudding) !
Salé ou sucré, le plum-pudding apparaît chez les anglais en 1711. Le français l’adopte en 1745. Notons que plum « prune »[7] prend ici le sens de « raisin sec pour gâteau ». En effet, on pouvait remplacer les pruneaux (prunes ou dry plums) par des raisins dans certaines recettes.
Pour l’anecdote, au début du XVIIe siècle, les anglais écrivaient plum et plumb. La plaisanterie sur la « légèreté » du plat fonctionne si bien que le jeu de mots avec plumb « plomb » passe en français sous la forme gâteau de plomb, aujourd’hui disparue.
Voltaire aime à le citer en 1756. Il est concurrencé par Christmas pudding « pudding de Noël », variante anglaise attestée en français en 1938, et surtout par la forme abrégée pudding, qui a un sens plus large en anglais[8].
Le christmas-pudding, un gâteau poids « plum » pour Noël
Parlons à présent de la coutume de Noël. Le Christmas pudding, nous vient d’Angleterre (Ô, surprise !). On le sert traditionnellement le 25 décembre au Royaume-Uni, en Irlande et dans quelques endroits du Nord de la France, notamment dans le Boulonnais[9].
Sa recette est très simple. C’est un gâteau :
- À base de farine ;
- D’œufs ;
- De graisse ;
- Son apparence sombre, voire noire, est due au sucre brun et à la mélasse ;
- On peut l’humidifier avec du jus d’agrumes ou de l’alcool (cognac, rhum ou bière, selon les recettes) ;
- Enfin, on y ajoute des raisins et des fruits secs (mais pas trop, car c’est grossissant).
On le prépare initialement le dernier dimanche avant… l’Avent et on le cuit à la vapeur. Avant le service, on le réchauffe (toujours à la vapeur) et on le sert imbibé de cognac ou de rhum flambé. On le décore traditionnellement avec une feuille de houx.
Avant d’être un symbole de Noël, ce plat était surtout associé à l’Angleterre et au Royaume-Uni[10]. Ce n’est que dans les années 1830 que le gâteau commence à être associé aux fêtes de fin d’années. C’est une femme, Eliza Acton, cuisinière du Sussex, qui le désigne la première sous le nom de Christmas pudding dans son livre Modern Cookery for Private Families (1845).
Pour conclure ce décryptage, un conseil avisé aux enfants : si vous voulez avoir des cadeaux à Noël, le seul qui doit faire du boudin, c’est… le pudding !
Hannibal LECTEUR, la « plum » plus forte que l’épée…
En bonus : c’est pas pudding, c’est Kloug ! Le Père Noël est une ordure (1982).
Notes et références – Pudding
[1] Of the « Electron », or Atom of Electricity – de G.J. Stoney, Philosophical Magazine, Series 5, Volume 38, p. 418-420, octobre 1984.
[2] L’exemple imprimé le plus ancien du proverbe se trouve dans Remaines of a Greater Worke Concerning Britaine de William Camden (1605).
[3] Poding, puddying en moyen anglais.
[4] Le lien avec le français boudin* reste obscur mais certains rapprochent le mot anglais du bas allemand pudding ou de l’irlandais putog, voyant dans ces formes la racine germanique °pud- « gonfler », boudin reposant sur une racine onomatopéique de même sens.
[5] De l’anglais pudding-stone, poudingue désigne en géologie une roche détritique formée par un conglomérat de cailloux ou de galets liés par un ciment naturel. En 1765, l’article Poudingue de l’Encyclopédie cite encore la forme anglaise pudding-stone.
[6] Qui relève d’un emprunt plus ancien à l’anglais et désigne un gâteau un peu différent.
[7] Issu comme ses correspondants germaniques du latin médiéval pruna (à prune).
[8] Dans la cuisine britannique, le terme pudding désigne également n’importe quel dessert, notamment les flans, riz au lait et crèmes.
[9] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[10] Notons d’ailleurs un paradoxe assez cocasse. Dans les îles Britanniques, de nombreux ingrédients (épices, fruits de vigne séchés et sucre) doivent être importés. En conséquence, le pudding est un « paradoxe gastronomique ». En effet, c’est « le plus anglais des plats préparé à partir des ingrédients les moins anglais » ; (« the most English of dishes made from the most un-English of ingredients »). Source : Kaori O’Connor, « The King’s Christmas pudding: globalization, recipes, and the commodities of empire », Journal of Global History, vol. 4, no 1, mars 2009, p. 127–155.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Apporter des oranges