Le désir de protection totale et totalisant de chacun, en tout et pour tout, révèle en creux le nœud ontologique de notre incomplétude figuré par la brume épaisse de l’incertitude qui voile l’horizon de nos existences.
Notre puérile et contemporaine volonté qui vise à nous affranchir de l’incertain semble être le marqueur d’une humanité fiévreuse en proie aux soubresauts des doutes existentiels qui l’habitent. Ce fantôme qui nous hante prend sa source dans les frontières contraignantes d’une humaine nature démystifiée – consécutive au reflux des eaux de la religion au sein de nos sociétés modernes – encore réticente à surpasser le domaine de la pensée préscientifique[1] et trop orgueilleuse pour reconnaître les angles morts de sa condition.
Le miroir de l’incertitude nous renvoie le reflet désagréable de nos propres limites nous contraignant à plonger dans les eaux froides de nos angoisses profondes. Face au néant de l’inéludable, l’être humain comble les grands espaces incertains de ses songes, de ses peurs et de ses désirs.
Démontrer qu’il est humainement réalisable et envisageable de nous protéger de tout, induit d’apporter une réponse satisfaisante à la question suivante : peut-on éradiquer l’incertitude, mère de nos angoisses, des peurs millénaires enracinées au sein de notre être profond, mais aussi de nos joies les plus fugaces et de nos bonheurs les plus intenses ?
En sommes, pouvons-nous effacer une part de nos instincts et gommer la majorité des affects qui façonnent les reliefs de notre existence ?
Selon mon opinion, il serait humainement présomptueux et aventureux d’en affirmer l’effective possibilité. En effet, l’incertitude est le métronome de nos humaines affections et de nos instincts primaires. En conséquence de quoi, le comportement humain résulte de cette incertitude qui nous accompagne chaque jour, chaque heure, chaque minute.
Orpheline de cet état, c’est une partie de l’essence humaine – modelée pour répondre à l’imprévu et aux déséquilibres tant physiques que psychologiques – qui s’évapore, laissant place à la machine et sa prévisibilité glaçante, ennuyeuse, vide de toute substance vitale et promise à l’éternelle vacuité ontologique.
De surcroît, admettre que l’être humain dispose, dans un futur plus ou moins lointain, des outils et des capacités nécessaires à l’éradication de l’incertitude de sa vie, revient à lui reconnaître, a priori, une certaine perfection d’essence divine que son imperfection consubstantielle ne peut lui permettre d’atteindre et d’espérer.
Le royaume de l’incertain et le champ des possibles sont constitutifs de la nature humaine. Chercher la suppression totale et sans retour de l’incertitude, revient à méconnaître gravement nos propres ressorts et l’essence même de la vie humaine. Nous n’avons d’autre possibilité que de l’accepter et de l’apprivoiser pour mieux la maitriser, sans quoi nous devrons faire face au péril de notre propre déshumanisation ; au risque de devenir des ombres diffuses, dévitalisées, dépourvues de consistance et privées de toute forme de liberté – meilleur antidote face au totalitarisme de la certitude suprême.
A.M.M
Notes et références
[1] La Formation de l’esprit scientifique, Gaston Bachelard, 1938.
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