Illustration du décryptage " Paraskevidékatriaphobie "
Illustration du décryptage "Paraskevidékatriaphobie"

Superstition ~ Paraskevidékatriaphobie (Peur du Vendredi 13)

Décryptage de la semaine

Aujourd’hui est un jour particulier. Vous avez brisé un miroir en passant sous une échelle pour tenter de fuir un chat noir ? Pas de doute, nous sommes bien un vendredi 13!

La paraskevidékatriaphobie n’est pas une expression à proprement parler mais une phobie assez connue et répandue. Vous l’aurez deviné : derrière ce terme compliqué se cache la peur du vendredi 13.

Le mot, issu du grec tardif, se décompose comme suit :

  • Παρασκευή / paraskevi « vendredi »,
  • δεκατρείς / decatreis « treize »
  • et φόϐος / phóbos, « peur »[1]

 

Cette date semble donc porter malheur et suscite de nombreuses superstitions. Mais quelle en est l’origine ? Tentons de lever la malédiction au travers d’une explication docte et ludique !

 

Une superstition « treize » étonnante !

Dès l’Antiquité, la mythologie gréco-romaine voyait d’un mauvais œil le nombre XIII en opposition au XII. Ce dernier est associé à la régularité et à la perfection. Ainsi, il y a XII divinités, XII constellations, XII signes du zodiaque, XII heures du jour et de la nuit. Les saisons passent, la nature « meurt » et renaît. Il y a donc l’idée d’accomplissement et de cycle achevé[2]. Le nombre XIII vient rompre cette harmonie et amène le malheur[3].

Le vendredi est le cinquième jour de la semaine si l’on considère que la semaine commence le lundi et le sixième si l’on considère que la semaine commence le dimanche. Le mot vendredi est issu du latin Veneris dies, signifiant « jour de Vénus »[4]. Ce jour est donc ambigu : la figure de Vénus donne à la fois l’image du désir, de l’admiration et de la beauté mais aussi de la jalousie, de la coquetterie et de l’inconstance[5].

Notons que dans les cultures germaniques et anglo-saxonnes, vendredi est le jour de la déesse Frigg, Frîja, Frea (vrijdag en néerlandais, Freitag en allemand, Friday en anglais, etc.), qui est en quelque sorte l’équivalent de la déesse Vénus. Cette même Frigga qui a été « diabolisée » lors de la conversion au christianisme des pays du Nord, aux IXe et Xe siècles. Frigga est alors devenue une soricère dans la croyance populaire, amenant avec elle la désolation.

Il y a déjà un terreau propice pour la paraskevidékatriaphobie, chacun des deux termes portant son lot de connotations négatives. Mais quand ont-ils été associés ?

 

« Cène » de ménage

Selon l’anthropologue Philips Stevens Jr., il faut remonter aux origines de la chrétienté, plus précisément dans le Nouveau Testament, pour comprendre la naissance de la paraskevidékatriaphobie.

Dans la religion chrétienne, la Cène[6] est le dernier repas que Jésus-Christ prit avec les apôtres le soir du Jeudi saint, avant la Pâque juive, peu de temps avant son arrestation, la veille de sa crucifixion, et trois jours avant sa résurrection.

La Cène serait à l'origine de la paraskevidékatriaphobie. (La Cène par Léonard de Vinci (1495-1498), église Santa Maria delle Grazie de Milan)
La Cène serait à l’origine de la paraskevidékatriaphobie. (La Cène par Léonard de Vinci (1495-1498), église Santa Maria delle Grazie de Milan)

 

La dimension funeste du vendredi 13 se résume ainsi :

  • d’une part, le Christ a été crucifié un vendredi,
  • d’autre part, il était accompagné de ses Douze Apôtres – parmi lesquels Judas Iscariote[7] –, inspirant l’idée d’un mauvais présage annoncé par la présence de treize commensaux[8] (donnant notamment naissance à l’expression « être treize à table »[9]).

 

C’est ainsi que la légende de la paraskevidékatriaphobie commence à se construire et que la phobie du vendredi 13 se répand au sein de la civilisation occidentale…

La première mention de cette superstition liée au vendredi apparaît dans Le Conte de l’Aumônier des nonnes, tiré des Contes de Canterbury de Chaucer, écrits au XIVe siècle :

« Chanteclair se dressa sur ses ergots, tendant le cou et tenant les yeux clos, et se mit à chanter fort, de la belle manière ! Dom Rousset le renard sursaillit aussitôt, et par la gargamelle saisit Chanteclair, et sur son dos vers le bois l’emporta, car lors n’y eut homme qui le suivit. O destinée, que ne peux-tu être évitée ! Hélas ! Que sa femme ne fît des songes ! Et c’est un vendredi qu’advint toute cette malchance. »[10]

 

C’est au XIXe siècle que l’association du vendredi et du nombre 13 commence à apparaître, notamment dans la culture anglo-saxonne et, rétroactivement, à dresser des parallèles entre les événements funestes survenus ce jour-là et de possibles interventions des forces occultes[11]. Une légende était en marche !

 

Le lundi, c’est raviolis. Le vendredi, c’est paraskevidékatriaphobie…

Pour conclure ce décryptage, nous proposons à notre lectorat, qu’il soit superstitieux ou cartésien, une liste de treize faits (forcément !) sur la paraskevidékatriaphobie.

 

  1. Le prochain vendredi 13 aura lieu en mars 2020. Il existe au minimum un vendredi treize dans l’année, vu le fonctionnement du calendrier courant dit grégorien. Un et deux vendredi(s) treize dans l’année sont les fréquences d’occurrence les plus courantes.
  2. Cependant, trois vendredis 13 peuvent être dénombrés par an, si et seulement si le premier jour de l’année est un jeudi, pour une année non bissextile ou si le premier jour de l’année est un dimanche, pour une année bissextile.
  3. Le vendredi 13 octobre 1307 (calendrier julien), le roi Philippe le Bel, inquiet de l’influence et de la puissance grandissante des Templiers, fait arrêter les membres de l’ordre du Temple (Templiers) ainsi que leur grand-maître Jacques de Molay et les fait torturer afin qu’ils avouent des crimes qu’ils assurent ne pas avoir commis. L’ordre du Temple est ainsi dissous, laissant tout pouvoir au roi. Certains font démarrer la superstition de ce jour funeste qui marque la chute des plus grands financiers d’Europe[12].
  4. On rencontre dans d’autres pays des phobies similaires concernant d’autres nombres : en Italie, le 17, car celui-ci, écrit en chiffres romains (XVII) est l’anagramme du mot latin VIXI, qui signifie « j’ai vécu » (i.e. « je suis mort ») ; en Chine et au Japon, le 4 dont une lecture shi est une homophonie du mot désignant la mort shi.
  5. Amateurs de SCRABBLE s’abstenir ! Le mot paraskevidékatriaphobie, qui compte 23 lettres, ne rentre pas sur le plateau de jeu, dont la grille ne compte que 15×15 cases. En revanche, la dékatriaphobie et ses 14 lettres peut y trouver sa place, à condition d’avoir beaucoup de chance !
  6. La dékatriaphobie, justement, est un terme créé en 1911 par le psychiatre américain Isador Coriat (1875-1943), pour désigner la phobie du nombre 13.
  7. Entre 17 et 21 millions d’Américains seraient concernés par cette phobie. Selon Donald Dossey, fondateur du « Stress Management Center and Phobia Institute » à Asheville, cette phobie serait responsable de la perte de 800 à 900 millions de dollars chaque vendredi 13, certains américains préférant repousser leur décision d’achat, de voyage, de mariage, etc…[13]
  8. Dans la culture anglo-saxonne, on élude le 13, passant du 12 au 14 ou utilisant 12a ou 12b à la place de 13. De même : certains immeubles n’ont pas de treizième étage, par exemple la Hearst Tower aux États-Unis ; dans beaucoup de villes américaines, il n’y a pas de 13e rue ni de 13e avenue ; la plupart des services hospitaliers ne possèdent pas de lit ou de chambre 13, en prévision de certains patients triskaïdékaphobes, etc…
  9. Dans le jeu du tarot, la treizième carte représente la Mort, sous l’apparence d’un squelette avec une faux.
  10. La paraskevidékatriaphobie a une série de films en son honneur ! La saga Vendredi 13 met en scène Jason Voorhies, le tueur au masque de hockey, qui terrorise les adolescents de Camp Crystal Lake depuis 1980. La série compte actuellement… 12 films. La production connaît les pires difficultés pour mettre en chantier un treizième opus. Un hasard, sans doute…
  11. Le compositeur Arnold Schönberg souffrait de cette phobie. Il est décédé en juillet 1951, un vendredi 13, à l’âge de 76 ans (7+6 = ?).
  12. Certains voient plutôt le vendredi 13 comme un jour de chance. La paraskevidékatriaphobie est notamment exploitée par les sociétés de jeux d’argent, qui proposent des loteries plus élevées ce jour-là. La Française des jeux a d’ailleurs révélé effectuer le triple de ses bénéfices en tickets de loterie à cette date. Le malheur (au jeu) des uns fait le bonheur (financier) des autres.
  13. Le « décryptage du O », qui paraît chaque vendredi, compte 13 caractères. Coïncidence ?

 

Hannibal LECTEUR

 

[1] De Phobos, le dieu de la terreur, personnification de phobos qui signifie tout d’abord «  ce qui fait fuir en effarouchant ».

[2] Source : How Did It Begin ? Customs, superstitions and their romantic origins, R. Brasch, L. Brasch HarperCollins Australia, 2012, p. 171.

[3] Nous retrouvons cette croyance dans la culture persane, avec les célébrations du treizième jour, Sizdah Bedar (treizième dehors). Les anciens Perses croyaient que les douze constellations du Zodiaque influençaient les mois de l’année, et que chacune régnait sur la terre pour un millier d’années. À la fin de ce cycle, le ciel et la terre sombraient dans le chaos. Le treizième jour des célébrations, les gens sortent profiter d’un pique-nique, souvent accompagné de musiques et de danses,  afin de conjurer le chaos et la malchance.

[4] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

[5] Source : Petite histoire des expressions, Gilles HENRY, Marianne TILLIER, Isabelle KORDA, p. 379.

[6] Terme issu du latin cena, « repas du soir, dîner ».

[7] Selon les Evangiles, Judas Iscariote trahit et livra le Christ pour trente deniers d’argent. Par la suite « Judas » devient un nom commun, utilisé comme synonyme de « traître » et entre notamment dans l’expression « baiser de Judas » (1656), « manifestation hypocrite qui prélude à une trahison ». Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

[8] Source : https://www.sciencesetavenir.fr

[9] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

[10] Source : Geoffrey Chaucer (1340?-1400). Auteur du texte. Oeuvres choisies / Geffroi Chaucer ; introduction et notes, par Emile Legouis,…. 1925-1935. Sur : https://gallica.bnf.fr

[11] Sur le sujet, nous recommandons la lecture de l’ouvrage de Nathaniel Lachenmeyer, 13: The Story of the World’s Most Notorious Superstition, Penguin Group Incorporated, 2005.

[12] Maurice DRUON a écrit une suite romanesque historique qui traite de la malédiction des templiers : Les Rois Maudits (1955-1977).

[13] Source : John Roach, « Friday the 13th Phobia Rooted in Ancient History », pour le National Geographic.

Retrouvez notre précédent Décryptage → Un éléphant dans un magasin de porcelaine