Décryptage de la semaine
Si, comme moi, notre aimable lectorat utilise le calendrier républicain (NDLR : « … »), il saura que nous sommes aujourd’hui le XXIII vendémiaire, soit le jour du… navet ! O’Parleur remonte donc aux racines de cette plante pas banale !
Il était un petit navire qui navet… ♫
… ja-ja-jamais navigué, ohé ohé ! Navet (d’abord navez, fin XIIe siècle) dérive, avec un suffixe –et, de l’ancien français nef (1174-1176)[1], de même sens ; nef qui vient lui-même du latin napus[2] qui signifie… « navet » (CQFD).

Certains esprits audacieux et gourmets ont cherché un lien avec le grec napu pour… « moutarde »[3]. Cela reste toutefois peu vraisemblable, du fait de l’éloignement de sens (hormis le côté piquant des deux).
Quant à Nef, il est tombé à l’eau en raison de l’homonymie avec nef « navire ».
Navarin, j’écoute !
Les gourmets connaissent surtout le navet comme « plante à racine pivotante comestible », désignant par métonymie cette racine (vers 1398). Le terme reste usuel en cuisine. On le retrouve notamment dans des recettes comme le canard aux navets, le navarin[4] d’agneau, etc. Il faut dire qu’il ne manque pas de qualités.
C’est un légume riche en potassium, en oligoéléments et en vitamine C, mais pauvre en calories. Il a longtemps occupé un rôle de premier plan sur les tables européennes avant d’être détrôné par la pomme de terre. Ironiquement, on lui reproche sa fadeur alors qu’il a un goût assez fort, mais non dénué de subtilité. Paradoxalement, cette fadeur calomnieuse lui colle à la peau.
Fadeur et décadence
En effet, on emploie le mot très tôt (vers 1278) pour exprimer une valeur figurée de « nullité, valeur minime ». Il entre ainsi en moyen français dans des locutions péjoratives comme pet de navet. Charmant.
Cette idée est reprise au XIXe siècle, quand le mot désigne un très mauvais tableau (1853).
Les grands auteurs en deviennent vite friands :
Un navet ! tous répétaient le nom avec conviction, ce mot qu’ils jetaient d’habitude aux dernières des croûtes, à la peinture pâle, froide et plate des barbouilleurs.
Émile Zola, L’Œuvre (1886)
Aujourd’hui, on l’utilise essentiellement pour parler d’un mauvais film (XXe siècle). Ainsi, comme se plaisait à dire Jean Lefebvre :
J’ai tellement de navets dans ma carrière que je pourrais en faire un potager.

Cette connotation négative est également sensible dans l’expression familière sang de navet « anémique, sans énergie » (1920)[5]. Et dire qu’une cure de navets permettrait de palier sans problème à cette anémie. Un comble !
Ainsi se conclut ce décryptage qui, nous l’espérons, n’aura pas manqué de saveur !
Hannibal LECTEUR, navet qu’à pas m’chercher !
En bonus : la frontière entre « navet » et « chef-d’œuvre » n’est jamais bien loin chez les critiques de cinéma. Les Inconnus – Allons au cinéma
Un chef d’œuvre, un véritable chef d’œuvre ! J’ai mis 2/100. Et encore, je suis large…
Notes et références – Navet
[1] Un autre diminutif de l’ancien français nef, navel (1200), reformé en naveau, nom masculin d’après le pluriel naviaus (1260), s’est maintenu dans les parlers régionaux (Centre, Canada), la toponymie (Nièvre, Naviau) ainsi que l’anthroponymie (Navel, Naveau). Au XVIe siècle, navel désignait particulièrement les gros navets et était employé au sens figuré de « très peu de chose », servant également à indiquer la négation dans des naveaulx ! (La langue populaire du XIXe siècle atteste aussi des navets ! comme expression de refus ; cf. des raves, des nèfles, etc.).
Navette, nom féminin (1323, Artois), diminutif féminin de l’ancien nef, désigne une plante voisine du colza, et surtout sa graine oléagineuse.
Par apocope, navet a donné nave, nom féminin (1872), terme argotique pour désigner un niais. Dans fleur de nave, fleur joue sur la valeur figurée intensive (cf. fleur de farine).
[2] C’est un terme méditerranéen d’origine obscure qui rappelle rapum (cf. rave) de sens voisin.
[3] Cf. sinapisme.
[4] Navarin qui est aussi un dérivé de navet. Mais ceci est une autre histoire (et très certainement un futur décryptage).
[5] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Octobre, pas de souci !