La « bêle » est la bête ~ Mouton de Panurge

Décryptage Mouton de Panurge

Décryptage de la semaine

Un troupeau, en quête d’un nouveau berger, le décryptage du O’ va consulter. « Doucement, y’a rien qui urge, ou vous risquez de finir en mouton de Panurge ! » Mais quel est cet animal gargantuesque ? Réponse dans la rubrique pastorale mais presque !

 

Le coup du Père François Rabelais

Nous devons l’expression du jour à notre cher Rabelais et à un épisode du Quart Livre (1548, édition partielle – 1552, édition complète). Même si… elle n’y apparaît pas sous cette forme exacte !

Décryptage Mouton de Panurge
Hé bêêê. Surprenant, non ?

Notre histoire met en scène Panurge[1]. Figure comique et exubérante, il accompagne la totalité de la geste romanesque rabelaisienne, excepté dans Gargantua. Tour à tour fripon, cynique, un peu couard et dévoyé, il n’en reste pas moins un ami fidèle de Pantagruel. Mais revenons à nos moutons.

 

S’il a vécu mille aventures, Panurge connaît la postérité grâce à l’épisode narré aujourd’hui. Dans le Quart Livre, il s’embarque en mer avec ses compagnons pour consulter l’oracle de la Dive bouteille. Durant le voyage, il se dispute avec le marchand Dindenault, qui moque son accoutrement ridicule. Et là, c’est le drame.

 

Un homme (et des moutons) à la mer

Panurge ne compte pas en rester là. Pendant une « trêve », il décide d’acheter un mouton au marchand indélicat. Ces bêtes valent une fortune car elles appartiennent à la race de Chrysomallos[2], le bélier à la toison d’or.

Décryptage Mouton de Panurge

Après un discours interminable du marchand vantant les mérites de ses bêtes, Panurge acquiert enfin un mouton… et le jette à l’eau ! Et le reste du troupeau de suivre leur congénère, entraînant dans leur sillage Dindenault et les bergers s’accrochant à eux :

Panurge sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellant en pareille intonation commencerent soy jecter et saulter en mer aprés à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit aprés leur compaignon.

Le Quart Livre, chapitre VIII

Si les projets de Dindenault tombent à l’eau, en revanche, cela explique l’origine de notre expression[3].

 

Le mouton de Panurge aujourd’hui

Par la suite, l’image est reprise sous la forme mouton de Panurge (avant 1778, Voltaire). En parallèle, depuis le XVIe siècle, mouton désigne une « personne crédule, facile à manœuvrer et à duper » (1556), par allusion au caractère paisible de l’animal. On dit aussi d’une personne qu’elle a un « caractère de mouton » quand elle est « docile et malléable » (1763)[4].

L’expression désigne celui qui imite ce qu’il voit faire par les autres sans se poser de questions[5]. C’est un « suiveur » sans personnalité, qui va avec le plus grand nombre et se fond dans la masse sans exercer son esprit critique.

Les moutons de Panurge (souvent abrégés en « mouton(s) ») servent donc à fustiger l’esprit grégaire. Hé oui, il faut TOUJOURS prendre du recul et ne JAMAIS céder à l’effet de foule. Une leçon qu’il est toujours utile et salutaire de répéter. Et rappelez-vous : le comble pour un mouton, c’est d’hurler avec les loups !

Hannibal LECTEUR, bêle, bêle, bêle comme l’amour

 

En bonus : Les moutons ♫ non pas de Panurge, mais de Richard Gotainer (2017) :

 

Notes et références – Mouton de Panurge

[1] Du grec ancien πανοῦργος / panoûrgos signifiant « apte à tout faire, méchant ».

[2] En grec ancien Χρυσόμαλλος / Khrusómallos, de χρυσός / khrusós, « l’or » et de μαλλός / mallós, « la touffe de laine », littéralement « laine d’or ».

[3] En revanche, il n’y a aucun rapport avec les moutons de mer. Par allusion à l’aspect laineux de l’animal, mouton désigne une vague crêtée d’écume (1690, au pluriel) et un petit nuage (1807).

[4] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

[5] Source : Petite histoire des expressions, Gilles HENRY, Marianne TILLIER, Isabelle KORDA, p. 126.

Retrouvez notre précédent Décryptage → Juin, il Été une fois