Décryptage de la semaine
« C’est bien connu : nous, les Gaulois, n’avons peur que d’une chose, c’est que le ciel nous tombe sur la tête ! »

Nous sommes en 60 après Astérix. Toute la langue française est occupée par le langage SMS… Toute ? Non! Le décryptage du O’ résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et il n’a peur que d’une chose : omettre d’expliquer l’expression « le ciel nous tombe sur la tête » !
L’idiome, rendu célèbre par les irréductibles gaulois de Goscinny et Uderzo, est entré dans le langage courant. Il signifie « se retrouver face à une situation accablante et inattendue ». Mais saviez-vous qu’il est tiré d’une « histoire vraie » ?
Découvrons ensemble la vérité dans cet hommage à une légende du IXème art, entre histoire et linguistique !
Cumulonimbus et Etymologix !
« Ô, Linguistix notre druide, est-ce que je peux avoir un peu d’étymologie ? – Non, Orthographix ! Tu es tombé dedans quand tu étais petit ! »
Ciel, cieux ou ciels, nom masculin, apparu vers 881, est hérité du latin caelum. Ce terme englobe trois sens :
- « voûte céleste »,
- « séjour de la divinité »
- et, en architecture, « voûte, voussure ».
L’origine du mot est incertaine ; on évoque un rattachement au verbe caedere « couper », le ciel étant « découpé » en régions qu’observe la science des augures ou en zones que parcourent les astres.
Les trois sens du latin – « séjour de la divinité », « voûte céleste » et « plafond » – ont été repris en français. Le premier l’a été dans une perspective chrétienne, désignant, au singulier, et au pluriel cieux, le lieu de séjour de Dieu et des âmes après la mort, par opposition à terre ou à enfer.
Depuis 1050, le mot possède aussi le second sens de « voûte céleste », à la fois dans une perspective cosmique, astrologique et au sens courant de « partie du ciel visible, limitée par l’horizon ». Il est diversement qualifié selon son aspect météorologique (ciel bas, lourd, serein) et a fourni l’adjectif de couleur bleu ciel (1844) par allusion à la couleur pâle d’un ciel dégagé.
Enfin, le troisième sens est passé, par analogie dans le vocabulaire technique, désignant le châssis au-dessus d’un lit à baldaquin et, plus tard, la voûte d’une carrière (1676, les ciels d’une carrière).[1]
Mais cela a-t-il un rapport avec « le ciel nous tombe sur la tête » ?

(Le tour de Gaule d’Astérix)
Nous ne ferons pas de réponse de normand et allons éclaircir ce point dans les prochains paragraphes….
Je suis mon cher ami, très heureux de te voir (c’est un Alexandrin!)
N’importe quel professeur de latin ou d’histoire vous le dira : lisez les aventures d’Astérix ! En plus d’être un chef-d’œuvre d’humour et de dessin, l’œuvre s’appuie sur des références historiques pointues avec un travail très documenté[2]. L’idéal pour apprendre en s’amusant !
Et « le ciel nous tombe sur la tête » ne déroge pas à la règle ! Nous devons le leitmotiv des gaulois à une illustre figure de l’Histoire : Alexandre le Grand.
Nous sommes en 336 avant Jésus-Christ. Le roi Philippe II de Macédoine vient d’être assassiné. Une assemblée est convoquée, au cours de laquelle le peuple macédonien, avec le concours d’Antipater[3], proclame son nouveau roi. Il s’agit d’Alexandre, alors âgé de 20 ans. Mais ce couronnement ne se fait pas sans contestation, ni sans convoitise. Alexandre doit agir vite et frapper fort. Il fait ainsi disparaître tout rival pouvant lui disputer le trône de Macédoine.
A cette guerre de succession intérieure s’ajoute le péril extérieur. Les tribus Gètes et Thraces entendent profiter de la mort de Philippe II pour attaquer la Macédoine. Alexandre mène donc campagne contre eux, en Illyrie et le long du Danube[4]. Les Gètes sont défaits en premier, puis vient le tour des Thraces. Après cette victoire, le jeune roi doit consolider des alliances parfois fragiles et entame donc une « tournée » diplomatique.
Une expression qui ne manque pas de Celte !
Il reçoit plusieurs délégations des pays voisins. Parmi eux, les Celtes. Arrien nous raconte cet épisode dans les Expéditions d’Alexandre[5] :
Les Celtes ont une haute stature, et un grand caractère ; ils venaient rechercher l’amitié d’Alexandre. La foi fut donnée et reçue. Alexandre demanda aux Celtes ce qu’ils craignaient le plus au monde, persuadé que son nom s’étendait dans leurs contrées et au-delà, et qu’il était pour eux l’objet le plus redoutable. Il fut déçu dans cette pensée : en effet, habitants des lieux d’un accès difficile, éloignés d’Alexandre qui tournait ailleurs l’effort de ses armes, ils répondirent qu’ils ne craignaient que la chute du ciel. Alexandre les congédia, en leur donnant les titres d’amis et d’alliés, et se contenta d’ajouter : « Les Celtes sont fiers. »
Une légende de l’histoire (ET de la bande dessinée) est née…
Si l’épisode est cocasse (et digne de figurer dans un épisode d’Astérix), il a également un sens philosophique profond.
L’histoire a retenu cette phrase lapidaire « le ciel nous tombe sur la tête », comme une fanfaronnade mettant à mal l’ego d’un grand personnage historique.
En vérité, il s’agissait d’une rencontre diplomatique entre deux délégations. L’événement impliquait des interprètes et une connaissance des us et coutumes de chacun afin d’éviter tout incident. Les participants maîtrisaient également l’art de la rhétorique. On le voit dans la réponse circonstanciée que les Celtes font à Alexandre. Ils possèdent à la fois de solides connaissances en géographie, des idées précises sur l’univers, sa composition et sa destinée.
Le ciel nous tombe sur la tête : un sens philosophique et religieux
La peur que « le ciel nous tombe sur la tête » a un double sens. Quand Alexandre leur demande ce qu’ils craignent, les Celtes comprennent qu’il fait allusion à sa puissance militaire. Puisqu’il n’a pas querelle avec eux et va partir à la conquête de l’Inde et de l’Asie, ils n’ont pas à le redouter. De facto, ils ne craignent aucun ennemi et ne l’offensent pas (du moins ouvertement) en formulant cette réponse.
Ils précisent toutefois qu’ils habitent une région difficile d’accès, faisant certainement allusion à la Gaule intérieure protégée par les Alpes Pennines. Quant à l’évocation du ciel, elle replace la philosophie des Celtes au cœur d’un système de croyance métaphysique complexe à rapprocher de l’eschatologie.

L’eschatologie, kesako?
Issu du grec ἔσχατος / eschatos, « dernier », et λόγος / lógos, « parole », « étude »), c’est le discours sur la fin des temps. Il relève de la théologie et de la philosophie en lien avec les derniers temps ou l’ultime destinée du genre humain, couramment appelée la « fin du monde ».
Chez les Celtes, la peur de l’effondrement du ciel n’a rien d’une peur primitive irraisonnée. Il s’agit d’un enseignement philosophique et religieux, transmis par les druides. Ce système explique la formation de l’univers, son évolution et la place que l’homme y tient. Les commentateurs de l’époque l’ignoraient sans doute mais, en pensant faire un bon mot, ils nous livraient un premier aperçu de la cosmogonie celtique (origine du monde)[6]. L’image du ciel s’abattant sur les guerriers se retrouve dans d’autres cultures à cette époque, nous pensons notamment au Ragnarök germanique, où les puissances célestes et infernales s’affrontent dans un ultime combat[7].

Veni, vidi, vici et eux, ils rigolent !
Astérix voit le jour le 29 octobre 1959 dans le premier numéro du journal PILOTE. Petit, pas très beau, exemple-type de l’anti-héros, il est le portrait fidèle du gaulois, finalement assez proche du français actuel, avec les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités : râleur, bagarreur, têtu, colérique mais aussi sympathique, courageux, honnête, rusé, fidèle et le cœur sur la main….
Lui et son compère Obélix ont su, au cours de leurs aventures, toucher au cœur et faire rire des millions de lecteurs, grands et petits, en nous régalant de savoureux jeux de mots et de situations cocasses.
Grâce à eux, nous avons appris qu’il ne fallait pas parler sèchement à un numide, qu’il vaut mieux éviter d’allumer un feu près d’un fromage corse et que non, nous ne sommes pas gros, juste un peu enveloppés… Et tellement d’autres bijoux de finesse et d’humour.
C’est sans doute cela, le vrai secret de la potion magique : un antidote à la morosité et au défaitisme, un hymne à la bonne humeur et à la rigolade. Qu’importe si le ciel nous tombe sur la tête, du moment qu’Astérix est là !
Albert UDERZO nous a quittés ce 24 mars 2020. Il rejoint son compère René GOSCINNY. Ensemble, ils vont pouvoir continuer à nous observer et croquer avec malice, mais non sans tendresse, nos travers et cet esprit franchouillard qui fait à la fois notre charme et notre fierté… et que le monde entier nous envie. Na ! (Ça, c’est un beau « na ! »)
Merci à Goscinnyrix et Uderzorix d’avoir nourri notre imaginaire. Ce décryptage est dédié à la mémoire et au génie de ces deux légendes de la bande dessinée.
Hannibal LECTEUR
En bonus : hommage poétique – La Patrouille de France célèbre les 50 ans d’Astérix (2009)
[1] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[2] Sur le sujet, nous recommandons la lecture de Le livre d’Astérix le gaulois, aux éditions Albert René.
[3] Antipater, né en 397 av. J.-C., mort en 319, est l’un des plus grands généraux de Philippe II puis d’Alexandre le Grand.
[4] Sur le sujet, lire : Jean-Louis BRUNAUX, Les Gaulois, 2005, Paris, Les Belles Lettres, ISBN :2-251-41028-7
[5] Source : Les Expéditions d’Alexandre, par Arrien, traduction française. D’après le récit des événements par Ptolémée.
[6] Une cosmogonie (du grec cosmo- « monde » et gon- « engendrer ») est un récit mythologique qui décrit ou explique la formation du Monde. Elle se distingue de la cosmologie, qui est la « science des lois générales par lesquelles le monde physique (l’Univers) est gouverné.
[7] Pour de plus amples informations sur le sujet, voir le blog de Kenningar.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Mettre en quarantaine