Flop 50 ~ La montagne accouche d’une souris

Décryptage La montagne accouche d'une souris

Décryptage de la semaine

O’Parleur met les petits plats dans les grands, sort les grands moyens et met le paquet pour faire… presque rien ! Vous l’avez deviné, aujourd’hui, la montagne accouche d’une souris ! Explication dans un décryptage qui fait rimer « ascension » avec « déception ».

Décryptage La montagne accouche d'une souris
Défense de jouer au rat-bat-joie…

Une origine au Rat des pâquerettes montagnes

Si nous connaissons l’expression du jour grâce à Jean de la Fontaine, son origine est très antérieure au célèbre fabuliste.

En effet, on l’employait dans l’antiquité, chez les grecs, sous une forme légèrement différente. Ainsi, dans ses fables, Ésope (VIIe – VIe siècle av. J.-C.) écrit-il :

Il courut autrefois un bruit, qu’une Montagne devait enfanter. […] On se préparait déjà à voir sortir un Monstre horrible des entrailles de la Montagne ; mais après avoir longtemps attendu avec une grande impatience, on vit enfin sortir un Rat de son sein.

De l’accouchement d’une montagne, fable XXIII

Ce n’est pas encore une souris mais l’auteur fustige déjà ces projets annoncés en fanfare et qui produisent un piètre résultat.

Projet ambitieux qui va faire mal ! (résultat en fin d’article)

Le temps passe, l’œuvre d’Ésope demeure. Les auteurs latins (dont Phèdre) s’inspirent de la fable et produisent leur version. La plus connue est celle d’Horace (65 av. J.-C. – – 8 av. J.-C.).

Décryptage La montagne accouche d'une souris
Portrait imaginaire d’Horace par Anton von Werner.

Ainsi, dans son Art Poétique[1], il écrit ce vers qui est resté célèbre :

parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Soit : « Les montagnes accouchent, et c’est une souris ridicule qui naît. » L’occasion pour nous de faire un bref aparté.

 

Un problème de taille

Il existe une thèse intrigante, populaire dans les milieux de la recherche anglo-saxonne, sur l’inspiration d’Horace. En effet, on a parfois émis l’hypothèse qu’il ne citait pas uniquement Ésope. Selon un certain Plutarque, l’auteur latin reprend un ancien proverbe grec[2].

Décryptage Saint-Glinglin

Proverbe que l’on retrouve en citation chez Athénée de Nocratis (v. 170 – ap. 223), un Grec d’Égypte :

ὤδινεν ὄρος, Ζεὺς δ’ ἐφοβεῖτο, τὸ δ’ ἔτεκεν μῦν[3]

Pour ceux qui ne lisent pas le grec ancien aussi bien que moi (NDLR : « Mon œil… »), voici la traduction :

Une montagne était en train d’accoucher et Zeus était effrayé, mais elle a donné naissance à une souris.

Il s’agirait d’une « pique » du roi égyptien Tachōs (IVe siècle av. J.-C), à l’adresse du roi spartiate Agésilas. Ce dernier étant de petite taille, Tachōs moque cet interlocuteur « pas à la hauteur » de sa réputation. Moquerie à laquelle le grec aurait répliqué : « Un jour, je t’apparaîtrai comme un lion ! » [4]

Hé ben chat alors !

On ignore si Horace connaissait cette saillie peu diplomatique ou s’il s’est simplement inspiré d’Ésope. Revenons à présent à nos moutons souris.

 

La montagne accouche d’une souris aujourd’hui

La fable est régulièrement reprise du moyen-âge au XVIIe siècle. Elle conserve à peu près toujours le même sens, impliquant un résultat décevant ou des promesses non tenues. En France, La Fontaine trouve lui aussi une source d’inspiration chez Ésope et Horace :

Une Montagne en mal d’enfant

Jetait une clameur si haute,

Que chacun, au bruit accourant,

Crut qu’elle accoucherait, sans faute,

D’une cité plus grosse que Paris ;

Elle accoucha d’une souris.

Quand je songe à cette fable,

Dont le récit est menteur

Et le sens est véritable,[5]

Je me figure un auteur

Qui dit : Je chanterai la guerre

Que firent les Titans[6] au Maître du tonnerre. »

C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ?

Du vent.

La Montagne qui accouche, Livre V, Fable X (1668)

La montagne accouche d’une souris signifie que « le résultat ne correspond pas à l’attente ». Il y a un décalage énorme entre l’ampleur du projet annoncé et son piètre résultat. En 1611, on relève déjà l’adage « de grand dessein une souris »[7] qui signifie la même chose, mais c’est la version de La Fontaine qui passera à la postérité.[8]

Décryptage La montagne accouche d'une souris
Illustration de Grandville

Si elle concerne au départ la littérature, l’expression s’applique aujourd’hui à tous les domaines : politique, cuisine, cinéma et autres feux d’artifices devenus pétards mouillés…

Résultat : ça fait « flop » (mais mal quand même…)

Afin de conclure sur une note « positive », on pourra toujours dire qu’en touchant le fond de la sorte, on atteint des sommets !

Hannibal LECTEUR, se fait une montagne d’un rien

 

En bonus : elle accouche d’une souris. Pourtant… que la montagne est belle ! La Montagne ♫ Jean Ferrat (1967)

 

Notes et référence – La montagne accouche d’une souris

[1] Difficile à dater. On sait qu’il rédige son ouvrage après le quatrième livre d’Odes (13 et 8 av. J.-C.) mais sans plus de précision.

[2] John Bartlett, Familiar Quotations, éd.  Bartleby.

[3] En phonétique : ṓdinen óros, Zeùs d’ ephobeîto, tò d’ éteken mûn.

[4] Kwapisz, Jan (2016). « Sotades on kings ». Eikasmos 27, pp. 121–136.

[5] La Fontaine évoque ici non sans malice deux caractéristiques propres à la fable.

[6] Les derniers vers sont une allusion à Ovide : Métamorphoses Livre I.

[7] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

[8] Nicolas Boileau écrira également sa version dans son Art poétique (1774), qui rend hommage à Horace. Au Chant III, il qualifie ainsi le travail des mauvais auteurs : « La montagne en travail enfante une souris. »

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