Décryptage de la semaine
Aujourd’hui, O’Parleur n’a pas besoin de faire un dessin pour vous raconter l’origine de l’image d’Épinal. Retour sur un « lieu commun » qui vaut le détour !
L’image d’Épinal, qu’est-ce que c’est ?
Une image d’Épinal est une estampe[1] illustrant un sujet populaire avec des couleurs vives.
Elle découle d’une longue tradition de l’art de l’image :
- D’une part, il y a la production d’une imagerie religieuse dont les prémices remontent au XVe siècle, et héritée du savoir-faire des dominotiers[2];
- D’autre part, il y a l’estampe populaire, née à Paris grâce aux différents procédés techniques que sont la xylographie (gravure sur bois), puis au XVIIe siècle la gravure sur cuivre et enfin la lithographie (gravure sur pierre) ;

L’image d’Épinal, quant à elle, voit le jour vers la fin du XVIIIe siècle, dans la ville éponyme.
Émile Jean-Charles & Image
Les images d’Épinal doivent leur nom à Jean-Charles Pellerin (1756-1836), entrepreneur spinalien[3] et premier imprimeur à éditer en série ce type d’image.
Fils d’un maître-cartier (créateur de cartes à jouer) et horloger de son état, il renonce à sa vocation initiale, la peinture de cadrans d’horloge sur émail, pour se tourner en 1796 vers la production d’images religieuses sur papier, à partir de gravures sur bois colorées au pochoir.

S’associant avec des ouvriers ou des graveurs tels que Charles Canivet ou François Georgin, sa production augmente peu à peu.
Après la Révolution française, l’impression d’images traditionnelles connaît un essoufflement. En 1809, Pellerin s’oriente donc vers l’illustration de l’histoire sainte, de légendes mais aussi de faits d’armes, de portraits et de satires. Puis il étend encore son imagerie aux contes, almanachs, événements politiques ou faits divers, sans oublier les alphabets et les romans.
Voir des exemples sur Gallica (BNF).

L’image d’Épinal est née. Colportée de villages en villages, son succès est immédiat et sa diffusion massive, même à l’étranger !
L’Image d’Épinal : un vrai carton !
Vers 1840, on abandonne la gravure sur bois au profit de la lithographie, procédé plus rapide et moins coûteux. C’est le début de l’industrialisation.

La fabrique Pellerin, reprise par les fils et petit-fils de Jean-Charles Pellerin, n’est plus seule à produire l’image d’Épinal. Parmi la concurrence, il y a notamment la « Fabrique d’images Dembour et Gangel », repreneur de la maison Lacour.

L’imagerie d’Épinal connaît son apogée pendant la seconde moitié du XIXe siècle, vers 1880. À cette période, on tire en moyenne 400 000 exemplaires de chaque image. Les sujets évoluent également vers des formats plus ludiques. Aux scènes religieuses et aux suites de costumes militaires jusque-là éditées viennent s’ajouter des séries à découper et à monter, comme « Le petit architecte », les « Constructions » ou les « Abat-jour ».

Fidèle à l’esprit pionnier et visionnaire de Pellerin, l’image d’Épinal sait évoluer avec son temps. Il n’est donc pas étonnant de la retrouver dans les nouvelles techniques d’images telles que :
- La publicité (en association avec l’éditeur Glücq) ;
- La lanterne magique ;
- Ou (ce qui n’est pas encore) la bande dessinée ;
Elle suscite également l’intérêt de grands noms du dessin de l’époque[4]. L’image d’Épinal se renouvelle perpétuellement tout en gardant son identité.

Les devinettes d’Épinal
Avant de continuer notre récit, faisons un aparté ludique sur la production de l’Imagerie d’Épinal. À partir de 1896, elle édite ses célèbres « devinettes ». Le but du jeu consiste à trouver un objet caché dans le dessin.

On accompagne l’image d’un titre et/ou d’un texte explicatif désignant la nature de l’objet/personnage à trouver. La plupart du temps, la solution consiste à regarder dans le paysage (ruisseaux, arbres…) ou à retourner l’image pour trouver la solution.

On distribue notamment ces devinettes sous la forme de petites images aux enfants, en guise de récompenses pour bonne conduite. Leur succès a même dépassé le XIXe siècle puisqu’en 1982, la chaîne antenne 2 reprend les images d’Épinal pour en faire un dessin animé.
Pour clore cette partie, nous vous proposons une série de devinettes. Nous donnons la solution à la fin de ce billet. En se basant sur nos indices, saurez-vous toutes les trouver ?






On n’arrête pas le progrès…
Rien ne semble pouvoir arrêter les images d’Épinal. Et pourtant… Ironiquement, alors que Jean-Charles Pellerin et ses héritiers ont su moderniser et pérenniser l’entreprise familiale, c’est bien le progrès qui va freiner cette ascension.
En effet, l’avènement de nouveaux moyens de communication tels que les journaux illustrés, la photographie et la radio vont marquer le déclin de cette production traditionnelle au cours du XXe siècle.
L’Image d’Épinal aujourd’hui
Depuis 1873, Image d’Épinal désigne une image de facture souvent naïve, d’abord en référence à l’imprimerie de Pellerin. L’expression désigne ensuite toute image populaire et naïve ; au figuré, elle se dit d’un lieu commun largement répandu.[5] Cette connotation surannée et stéréotypée imprime encore sa marque sur les images d’Épinal.
L’entreprise Pellerin, disparue temporairement en 1984, s’est recréée et poursuit aujourd’hui la production d’images populaires. Elle est d’ailleurs la dernière imagerie non pas de France, mais d’Europe !

Bien que parfois injustement considérée comme une expression mineure de l’art de l’estampe, l’image d’Épinal demeure pourtant l’un des symboles de l’imagerie populaire et s’inscrit pleinement et légitimement dans l’histoire de la gravure et de ses techniques.[6]
Preuve que si l’expression est synonyme de « lieu commun », l’imagerie d’Épinal, elle, a su faire rimer son histoire avec « tout sauf banal » !
Hannibal LECTEUR, sage comme une image (d’Épinal)
En bonus : L’image d’Épinal, un savoir-faire gravé dans la roche
En prime, un lien vers la galerie d’image de Gallica (BNF), qui contient 1300 exemples d’images produites entre 1810 et 1934.
Site de la Maison Images d’Épinal.
Devinettes d’Épinal : la solution en images






Avez-vous tout trouvé ?
Notes et références : Image d’Épinal
(Les images d’Épinal sont issues de la galerie de la BNF/Gallica)
[1] Image imprimée à l’aide d’une planche de bois ou de cuivre ou d’un support lithographique (pierre) gravée. L’estampe est le résultat de l’impression d’une gravure ou d’une autre technique qui exclut tout procédé d’incision ou de morsure.
[2] Le dominotier est celui qui « imprime des feuilles mobiles », les « dominos » utilisés pour les garnitures de meubles ou de pièces d’appartement. C’est en quelque sorte l’ancêtre du papier peint. Rattaché à cette profession, le marbreur crée des papiers marbrés.
[3] D’après le nom latin médiéval Spinalium, qui a donné… Épinal !
[4] Comme Benjamin Rabier (1864-1939), Léo Brac (18..?-19..?), Caran d’Ache (1858-1909) ou O’Galop (1867-1946).
[5] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[6] Jude TALBOT, « Les images d’Épinal », in. Blog de Gallica, 18 octobre 2011 (republié en 2013).
Retrouvez notre précédent Décryptage → Égérie, source d’inspiration