Il y a 189 ans, jour pour jour… l’affaire de l’Auberge Rouge ! L’auberge de Peyrebeille, de son vrai nom, située en Ardèche, fut le théâtre d’une affaire criminelle qui, en raison du contexte politique de l’époque, déchaîna les passions.
On n’est pas sorti de l’Auberge Rouge !
Sur le banc des accusés : Pierre et Marie Martin (née Breysse), anciens fermiers devenus propriétaires et tenanciers de l’auberge, leur domestique Jean Rochette et leur neveu, André Martin. On les accuse d’avoir détroussé et tué plus de cinquante voyageurs sur la période allant de de 1805 à 1830.
Tout commence le 26 octobre 1831. On découvre le corps d’Antoine Enjolras sur les berges de l’Allier. Il aurait séjourné à l’auberge des époux Martin deux semaines auparavant. Les gendarmes enquêtent sur les lieux et arrêtent successivement les quatre suspects début novembre.
L’annonce d’un procès pour meurtre fait grand bruit. Bientôt, ce qui aurait dû rester une « classique » enquête de police va se transformer en hystérie collective. De vieilles rancœurs, des jalousies et des règlements de compte politiques vont parasiter le procès.
Pour la Patrie… et pour l’exemple (à ne pas suivre)
L’évènement se déroule après les insurrections des canuts à Lyon[1] et des forêts royales en Ardèche[2]. La situation est donc extrêmement tendue. Nul n’ignore que Pierre Martin, homme au fort caractère, et sa femme sont tous deux royalistes. Le premier fut notamment homme de main pour la noblesse locale et a participé à la spoliation des propriétaires terriens au profit des nobles de retour après la Révolution. De plus, la réussite financière couple et ses ententes avec les coupeurs de bois engendrent jalousies et colère de toutes parts.
Les Martin font donc figure de coupables idéals. A travers eux, on vise les royalistes ardéchois. Il s’agit de faire un exemple. La Justice, aux ordres, fait tout pour influencer négativement l’opinion et souligner la culpabilité des prévenus. On détruit ou égare des pièces à convictions. La presse met également deux sous à la musique. C’est elle qui baptise le commerce des Martin « l’Auberge Rouge » mais aussi « l’auberge sanglante », « l’ossuaire » ou encore le « coupe-gorge ». Ambiance…
Un verdict attendu (et fortement souhaité)
Le procès des « quatre monstres » débute le 18 juin 1833. Sur les 109 témoins appelés à la barre, beaucoup rapportèrent des rumeurs ou des récits fantasques. On évoqua des meurtres, des viols, du cannibalisme (les victimes transformées en terrine puis servies aux clients). Bien que douteux, ces témoignages alimentèrent la rancœur et la vindicte du peuple, qui souhaitait voir les Martin condamnés.
Le procès s’enlisa dans cette surenchère de déclarations. C’est finalement le témoignage d’un mendiant, Laurent Chaze, qui enfonça le dernier clou dans le cercueil judiciaire des aubergistes. Ce dernier affirma avoir assisté au meurtre d’Enjolras. Son récit, peut-être arrangé[3], permet de clore l’affaire et de rendre le verdict que tout le monde souhaite.
Le 28 juin 1833, les Martin et leur domestique Rochette sont jugés coupables du meurtre d’Enjolras, de quatre tentatives d’homicide et de six vols. Ils sont condamnés à mort. Leur exécution a lieu le 2 octobre 1833.
D’une parodie de justice à un classique de la comédie
Au terme de cette cacophonie judiciaire, on ne sait pas si les tenanciers de l’« Auberge Rouge » étaient vraiment coupables. Justice partisane, hystérie collective et querelles politiques auront eu raison de la vérité. De nombreuses pièces du dossier ayant disparu des archives judiciaires, le mystère de l’Auberge Rouge ne sera sans doute jamais éclairci.
En guise d’héritage, l’affaire laisse de nombreuses œuvres et chroniques. S’il ne fallait en retenir qu’une, il s’agirait sans hésitation d’un film de 1951. L’Auberge Rouge, de Claude Autant-Lara, avec Fernandel est un conte philosophique, joyeusement anticlérical, qui fait preuve d’un cynisme réjouissant et d’un sens de l’humour grinçant. Un classique qui n’a pas vieilli et que nous vous conseillons de (re)découvrir sans plus attendre !
Hannibal LECTEUR
Quid de la fameuse expression ?
Contrairement à une idée reçue, l’affaire de l’Auberge Rouge n’est pas à l’origine de l’expression « On n’est pas sorti de l’auberge » (voir notre Décryptage).
Notes et références
[1] La révolte des canuts désigne plusieurs soulèvements ouvriers ayant eu lieu à Lyon, en France, en 1831 puis 1834 et 1848. Il s’agit de l’une des grandes insurrections sociales du début de l’ère de la grande industrie.
On soumet ces travailleurs qualifiés à de très rudes conditions de travail (de 16 à 18 heures par jour). Les canuts voient leur salaire chuter drastiquement au début des années 1830. Le 25 octobre 1831, ils obtiennent un tarif minimal signé par les représentants des ouvriers et des maîtres fabricants, sous le contrôle des prud’hommes.
Cependant, des fabricants protestent contre cet acte dès novembre : ils acculent les ateliers au chômage pour obtenir son abolition. Les ouvriers s’insurgent et prennent le contrôle de la ville le 22 novembre, au terme d’affrontements sanglants. Le 24 novembre, on forme un gouvernement provisoire. La semaine suivante, le travail reprend mais le tarif minimal n’est pas appliqué. Plus d’informations ici.
[2] Les insurrections des forêts royales en Ardèche suivent la première Révolte des Canuts. Le droit du ramassage du bois est restreint pour les paysans au profit des scieries. Certaines sont incendiées et leurs bois coupés. Les bandes de coupeurs opèrent de nuit dans un milieu qu’ils connaissent parfaitement et n’ont aucune peine à mettre la gendarmerie en déroute. Le préfet, inquiet, ordonne de faire revenir l’ordre. C’est dans ce contexte que l’on instruit le dossier des Martin.
[3] Le témoin s’exprimait en occitan vivaro-alpin, tandis que les audiences de la cour d’assises se déroulaient en français.
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