Décryptage de la semaine
En lien avec l’actualité, O’Parleur fait grève… Pardon ! O’Parleur fait l’étymologie du mot grève. Explication dans un décryptage sans perturbations.

Sous les pavés, la grève
Sans mauvais jeu de mots (ou presque), le mot du jour aime gravier les échelons. En effet, grève, nom féminin (vers 1140), vient du latin populaire °grava pour « gravier »[1] ; °grava qui signifie aussi « plage » en latin médiéval (876).
Pierre Guiraud rapproche le terme du latin gravis pour « dur, difficile »[2] ; l’ancien français connaît groisse « gravier, caillou », variante de grosse « gravier ». Grève au sens de « gravier » se maintient en Champenois, en lorrain, dans l’Ouest (sous la forme groue) et dans les parlers méridionaux.
Un mot qui trouve sa place
De grève, « terrain constitué de sable et de gravier (au bord de la mer ou d’un cours d’eau) », vient l’homonyme grève (1805). Il s’agit du nom de la place de Grève (1260) au bord de la Seine, à Paris, où se réunissaient les ouvriers qui attendaient l’embauche.

Les valeurs métaphoriques du mot, au sens de « place » ont pu jouer leur rôle ; être sur la grève équivalant à être sur le sable, sur le pavé.
La tête de l’emploi
Faire grève (1805) signifie d’abord « quitter l’ouvrage (1805, pour demander une augmentation) », mais cet emploi reste isolé. Avant 1850, être en grève a le sens de « chercher un travail » (attendre l’embauche en place de Grève). Par métonymie, le mot désigne aussi le lieu où les ouvriers sans emploi se réunissent.
Le passage au sens moderne de « cessation volontaire et collective du travail » se produit vers 1845-1848. Une locution comme mettre un patron en grève (1848) signifie « refuser de travailler pour lui ». C’est alors que grève passe d’« absence subie de travail » (chômage) à « refus de travail ».

Par extension, grève prend ensuite le sens d’« arrêt d’une activité », par exemple dans les locutions grève de la faim (1906) ou de l’impôt (milieu XXe siècle). Quant au dérivé gréviste (vers 1844), il apparaît au moment où grève prend son sens moderne.[3]

Au terme de ce décryptage, nous allons manifester… notre joie à l’approche du week-end !
Hannibal LECTEUR, à ne pas confondre avec Peter GRÈVE…
En grève bonus : Merci Patron ! ♫ Les Charlots (1971)
En prime, une copie numérique de Germinal (1885) sur Gallica. Pourquoi ? De 1/ Parce que l’opportunité de citer les Charlots et Émile Zola dans la même phrase était trop belle ; de 2/ Car il est toujours intéressant de se (re)plonger dans les classiques (oui, oui, je parle toujours de Zola ET des Charlots).
Notes et références – Grève
[1] Probablement d’origine prélatine.
[2] Cf. grave.
[3] Chateaubriand emploie déjà le mot en 1822… mais avec une valeur toute différente. Il oppose alors les Royalistes aux Grévistes « amateurs d’exécutions publiques en place de Grève ». Gréviste de la faim, de l’impôt, etc. correspond aux extensions du mot. Grévette, nom féminin, « grève de petite durée » est attesté vers 1972. Le composé antigrève, nom, date de 1948 mais antigréviste, adjectif et nom, est relevé plus tôt (1928). Voir aussi grave et gravelle. Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Scoumoune