Décryptage de la semaine
« L’œil de Moscou », qui fleure bon l’espionnage et la Guerre Froide, est une expression née dans la première moitié du XXe siècle.
Paradoxalement, ce n’est pas au sein même de la capitale russe qu’elle puise son origine, mais en Occident, et plus spécifiquement en France.
Aux origines
Rappelons à nos lecteurs qu’au début du siècle dernier Moscou dirigeait à la fois l’URSS et le communisme mondial. Dans un contexte de paranoïa et de surveillance généralisée, le Kremlin espionnait son propre territoire mais aussi ses serviteurs extérieurs.
Ainsi, dès les années 1920, Moscou s’appuyait sur un réseau d’agents pour surveiller de l’intérieur les partis communistes étrangers (y compris le PCF). Ils étaient les « yeux » du Kremlin à l’étranger. Parmi eux figurait le journaliste et militant Jules Humbert-Droz, fondateur du PC en Suisse, qui a intitulé l’un de ses ouvrages « L’œil de Moscou », consacré à ses années d’« observateur » au PCF de 1922 à 1924 pour le compte de la Russie.

Dans sa première occurrence, l’expression fait donc référence à ce réseau d’espions extérieurs aux ordres du Kremlin.
De nos jours
Mais c’est dans les années 60 que l’expression se popularise et entre dans le langage courant : lorsqu’une personne est envoyée dans un lieu afin de surveiller et d’espionner son entourage pour le compte d’une tierce partie, on dit familièrement qu’elle est « l’œil de Moscou ».
De nos jours, elle a totalement perdu cette notion d’espionnage et de lutte idéologique entre l’Occident et l’URSS : des commères, voisins trop curieux ou oreilles indiscrètes sont autant d’yeux de Moscou. Quant aux vrais espions (russes ou autres…), ils continuent d’œuvrer dans l’ombre, entre fantasmes fictionnels et secrets d’état bien réels…
A noter : il s’agit d’une expression exclusivement occidentale, utilisée en France et en Espagne (« El ojo de Moscú »). Ironiquement, cette expression est littéralement intraduisible en russe [1]. En revanche, en Angleterre, nos voisins d’Outre-Manche auraient tendance à utiliser le terme « Big Brother », cher à George Orwell (qui est l’hôte de PhilO’ cette semaine), qui rappelle la surveillance généralisée et le caractère autoritaire de l’expression.
Hannibal LECTEUR
[1] La langue russe comprend d’ailleurs deux traductions bien différentes pour le mot « espion »: razvedtchik, pour un agent vertueux et loyal au service du Kremlin; et chpion, l’agent félon qui œuvre pour les puissances étrangères et ennemies.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Se tailler la part du lion