Décryptage de la semaine
Être habillé pour l’hiver ! Une expression qui reprend l’un des éléments de Noël… mais qui n’a aucun rapport avec l’événement ! C’est Noël en décalé et c’est chaque vendredi pendant les fêtes sur… Ho Ho Ho’Parleur !
La bille ne fait pas le moine
Au risque de vous surprendre, habiller n’a à l’origine rien à voir avec le fait de « revêtir des habits ». Mais pas de panique : si le vête-ment, O’Parleur dit la vérité.
Ce verbe transitif (vers 1200), provient du terme bille, d’après le latin médiévale billia pour « tronc d’arbre ». S’écrivant alors…. abiller[1], il signifie littéralement « préparer une bille de bois ».
Dès les premiers textes, le verbe réalise l’idée plus générale de « préparer, apprêter », surtout dans un contexte militaire[2]. On retrouve ce sens d’apprêt dans quelques termes techniques, notamment en :
- Cuisine (vers 1450) ;
- Médecine (1456) ;
- Tannerie (1559) ;
- Poterie (1680).
Ce n’est qu’au XVe siècle qu’abiller se pare d’un « h- » (Commynes). On explique ce « relooking » par le rapprochement avec habile et surtout habit.
Ce changement n’est pas uniquement graphique puisqu’il entraîne un déplacement de sens qui sépare complètement le verbe de son étymon français[3]. Il prend alors le sens usuel de « couvrir de vêtement », d’abord à la forme pronominale (début XVe siècle) puis en emploi transitif (1456)[4]. Sens qui a perduré jusqu’à nos jours.[5]
Un tissu de méchancetés
Dès le milieu du XVIIIe siècle, critiquer ou dire du mal d’une personne équivaut à « habiller (quelqu’un) ». L’expression être habillé pour l’hiver reprend cette idée.
L’image est limpide : en cette froide saison, il faut s’habiller chaudement. Les plus frileux peuvent alors compter sur les médisants et autres commères pour rajouter des couches de calomnies et autres injures.[6]
La personne critiquée se voit ainsi « couverte » de tous ces propos désagréables et ne risque pas d’avoir froid. Pour résumer : être habillé pour l’hiver, c’est se faire tailler un costard !
Le pull de Noël ou comment être habillé pour l’hiver !
Derrière l’expression du jour se cache une tradition de Noël relativement récente, entre kitsch assumé et loufoquerie. Le Pull de Noël (Christmas Jumper ou Ugly Christmas Sweater en anglais) nous vient directement de la pop-culture américano-britannique. Il s’agit d’un tricot « façon grand-mère » reprenant l’esthétique et les symboles de Noël, pour un résultat haut en couleurs.

Si l’on tricotait déjà ces « chandails folkloriques » au début du XXe siècle, le phénomène devient réellement populaire aux États-Unis dans les années 80. En effet, lors des Christmas Special, les héros de sitcoms se retrouvent affublés de ces parures (très) colorées et amusantes. Du coup, des Jingle Bell Sweaters sont produits et vendus en masse.
L’effet de mode s’effiloche durant les années 90. Il doit son retour sur le devant de la scène… au cinéma. En 2001, Le Journal de Bridget Jones cartonne en salle. Alors que l’héroïne hésite entre le séduisant mais dupeur Daniel Cleaver et le réservé mais charmant Mark Darcy, le public, lui, a tranché. Comment résister à Colin Firth/Darcy et à son magnifique/hideux (à votre convenance) col roulé vert orné d’un renne ?

Il est temps de remonter sur les podiums !
Victimes vachement fashion !
Cela pourrait prêter à sourire et pourtant… Il y a un véritable engouement pour cet habillement ! En 2002, la première Ugly Christmas Sweater Party[7] a lieu dans une université de Vancouver. Le phénomène ne se cantonne pas aux milieux étudiants : entreprises, grandes marques, célébrités, anonymes… Tout le monde est concerné !

Depuis 2011, le troisième vendredi de décembre (soit aujourd’hui) voit se dérouler la « Journée internationale du pull de Noël ». Le phénomène s’exporte progressivement. Outre les raisons commerciales évidentes, son succès grandissant s’explique très simplement.
Il s’agit d’un événement léger et ludique, qui renvoie directement à l’enfance. Il y a d’abord l’aspect « chasse au trésor », qui consiste à trouver le « Saint-Graal » du kitsch décembral. Imaginez Pretty Woman mais en version « pull de Noël ». Les plus habiles confectionneront leur tenue eux-mêmes !
Ensuite, il y a le plaisir d’enfiler son pull et, surtout, de comparer avec les autres. C’est régressif, c’est bariolé, c’est amusant et ça fait du bien !

Ce qui a commencé comme une plaisanterie est devenu…un phénomène de mode ![8]
Pour conclure ce décryptage, un conseil avisé aux enfants : pour passer un agréable Noël, évitez de critiquer la tenue de vos hôtes, au risque d’être habillé pour l’hiver !
Hannibal LECTEUR, ne fait pas dans la dentelle
En bonus : comment tout à (re)commencé. Le journal de Bridget Jones (2001)
En vrai, elle a craqué pour le pull…
Notes et références – Être habillé pour l’hiver
[1] Avec le préfixe a-* (du latin ad-) et la désinence -er.
[2] Et à la forme pronominale.
[3] Ceci explique que le sens propre ne soit plus attesté que par quelques emplois techniques (1701, habiller un arbre) ou dialectaux du langage agricole. Le sens propre originel n’est plus qu’un sens figuré tombé un peu en désuétude.
[4] Changement d’autant plus aisé qu’il y a la proximité avec habit et et le sens précédent de « (s)’équiper pour la guerre ».
[5] S’habiller ayant aussi les valeurs secondaires de « se vêtir de telle manière (1478-1480) » et, absolument, « mettre des habits de soirée, une tenue de cérémonie » (1886).
[6] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[7] Soirée du pull moche de Noël.
[8] Synthèse réalisée à partir de cet article.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Ramasser une bûche