Décryptage de la semaine
Ouah, hé l’aut’, hé, y connaît même pas l’esprit d’escalier ! On touche le fond !
À cet instant, vous êtes resté(e) muet(te), ne sachant que répondre à l’importun. Pas de panique, le décryptage du O’ est là pour vous aider à répondre du tac au tac à ces attaques !
Esprit (d’escalier), es-tu là ?
L’esprit d’escalier (ou esprit de l’escalier) est une expression exprimant un sentiment bien connu. Vous savez, ce moment où l’on pense à ce que l’on aurait pu/dû répondre à ses interlocuteurs lors d’une joute verbale. Seulement, votre répartie n’était pas au rendez-vous à ce moment précis. Mais à trois heures près d’intervalle, vous les auriez bien mouché(e)s !

La faute à Diderot
On affirme un peu vite que Rousseau est à l’origine de l’expression. En effet, le premier à en parler est Diderot, en 1773 dans le Paradoxe sur le comédien :
Marmontel[1] […] me dit ironiquement : « Vous verrez que lorsque Voltaire se désole au simple récit d’un trait pathétique et que Sedaine[2] garde son sang-froid à la vue d’un ami qui fond en larmes, c’est Voltaire qui est l’homme ordinaire et Sedaine l’homme de génie ! » Cette apostrophe me déconcerte et me réduit au silence, parce que l’homme sensible, comme moi, tout entier à ce qu’on lui objecte, perd la tête et ne se retrouve qu’au bas de l’escalier.[3]
Sans le savoir, il vient de poser la première marche de l’esprit d’escalier ! Rousseau aussi se désolera de souffrir de ce syndrome… mais sans le nommer ainsi. En effet, en accord avec sa thématique, l’expression consacrée n’apparaît que plus tard.
Affirmant qu’il ferait « une forte jolie conversation par la poste »[4], il énumère tous ses défauts de langage dans ses Confessions. Toutefois, il s’agit moins ici d’une paralysie temporaire de l’esprit que d’une difficulté à penser et à formuler rapidement, d’où une longue gestation intellectuelle.
La répartie en marches
Notre expression est officiellement attestée à la fin du XIXe siècle. On la définit aujourd’hui comme le « fait de ne pas pouvoir répliquer sur le champ ». On l’oppose à l’esprit d’à-propos[5]. A présent que nous avons levé le voile sur son origine, nous espérons que…
Peut-être que je touche le fond, mais toi, tu en redéfinis la profondeur ! Voilà ! C’est ÇA que j’aurais dû répondre !
Il y a du progrès.
Hannibal LECTEUR, répartie comme il est venu
En bonus : une anecdote avec de l’esprit et un escalier !
En 1683, à Versailles, Madame de Maintenon croise Madame de Montespan, répudiée par Louis XIV, dans l’escalier de la Reine. Les deux femmes ne s’aiment pas (doux euphémisme).

Aussi, quand la Montespan dit à la Maintenon : « Oh ! Vous montez, Madame », cette dernière réplique : « Oui, Madame, moi je monte et vous, vous descendez. » En voilà une qui n’avait pas l’esprit d’escalier !
Notes et références – Esprit d’escalier
[1] Jean-François Marmontel (1723-1799), écrivain, encyclopédiste, historien, conteur, romancier, grammairien, poète, dramaturge et philosophe français.
[2] Michel-Jean Sedaine (1719-1797), dramaturge français.
[3] Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien, p. 37.
[4] Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, l. III, p. 98.
[5] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Peau de chagrin