Décryptage de la semaine
Cette semaine, O’Parleur va faire du bruit dans Landerneau ! Explication dans un décryptage qui va faire parler de lui jusqu’à… enfin, vous savez !
Lan Terne, une ville qui ne manque pas d’éclat !
Landerneau est une commune du Finistère, en Bretagne.

Elle se situe à l’embouchure du fleuve côtier de l’Élorn qui sépare le pays de Léon de la Cornouaille. La ville est bâtie près de l’ermitage de saint Arnoc, évêque cité dans un calendrier breton du IXe siècle[1]. C’est d’ailleurs à sa situation géographique qu’elle doit son nom :
- Lann signifie « ermitage », « lieu sacré »[2]…
- … ici dédié à « Arnoc », « Ternoc » (ou « Terne »), qui aurait monté son oratoire sur ce site[3].
D’où le nom Lan-Terneo (ou Lan Erno, Lan terne) qui évoluera en Landerne, francisé en Landerneau.
Le nom de Landerneau apparaît en 1206, dans une période où la ville est en plein essor. En effet, au cours de sa longue histoire[4], la ville est un carrefour routier et maritime important pour le commerce. Elle connaît d’ailleurs une période de forte prospérité aux XVIe et XVIIe siècles grâce au commerce du lin.

Au XVIIIe siècle, le cœur de la ville gravite autour du pont et du port, qui est alors l’un des plus importants du Finistère.

On a même envisagé un temps, malgré sa situation excentrée, d’en faire le chef-lieu de la région, même si Quimper remporta le titre.

Landerneau ne manque donc pas de qualités. Mais quel rapport avec l’expression du jour ? Aucun !
Une origine qui se met en quatre (littéralement)
Quand on dit que cela fera du bruit dans Landerneau, on signifie qu’une affaire va susciter des ragots, faire scandale. Pour la première fois sur O’Parleur, nous n’avons ni une, ni deux, ni trois, mais bien quatre explications possibles.
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Au théâtre ce soir
Très certainement la plus répandue. L’expression apparaît pour la première fois dans la pièce de théâtre d’Alexandre Duval, Les Héritiers (1796).

L’intrigue se déroule à Landerneau, symbole pour l’auteur rennais des petites villes de province où le moindre ragot est répété, déformé, amplifié. Commentant la mort supposée de son maître, le domestique Alain déclare ainsi :
[…] Sa mort a fait du bruit dans Landerneau. […] Je sais que dans notre petite ville de Landerneau, en voilà au moins pour huit jours de conversations. Toutes nos commères vont arranger cela à leur manière. [5]
Imaginez donc la tête des héritiers quand le mort rentre au bercail[6].
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La veuve (un peu trop) joyeuse
Autre tempo, autres morts, l’expression puiserait sa source dans le quotidien de la ville. Cette fois, Landerneau aurait beaucoup jasé suite au remariage un peu trop rapide d’une veuve. Amour véritable ou non, le divorce avec l’opinion publique était quant à lui acté.
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La Grande évasion
La troisième hypothèse concerne le bagne de Brest.

Lorsqu’une évasion se produisait, coutume était de tirer trois coups de canon. On pouvait alors entendre le bruit jusqu’à Landerneau[7].

En espérant que la prison n’était pas une passoire… et les gardiens des boulets.
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C’est la fête
Dans son Voyage dans le Finistère (1792), Jacques Cambry décrit les festivités de Landerneau et des alentours, notamment l’usage des charivaris[8].
Lors de ces manifestations joyeuses et populaires, les gens défilent dans les rues, à grand renfort de cris et d’instruments. Sacré ramdam !
Du bruit dans Landerneau aujourd’hui
Le nom propre est devenu un nom commun qui désigne un « milieu particulier, une petite société ». Nous parlerons ainsi du landerneau des affaires pour désigner un « microcosme financier »[9].
Quant à l’expression du jour… elle a parfois desservi la ville dont elle s’inspire, lui donnant à tort l’image d’une petite ville ridicule, à la mentalité étriquée :
Landerneau, la ville de célébrité comique qu’on oppose à Paris, la ville universelle, comme un exemple de stupidité provinciale.[10]
Qu’elle se rassure toutefois : ce snobisme parisien n’est pas un « privilège » exclusif à Landerneau ! Notre expression rejoint donc toutes ces entités victimes d’une injuste réputation suite à un bon mot devenu locution (vu ici ou là, par exemple).

Espérons que ce décryptage mettra un terme aux ragots et autres cancans. Gageons en tout cas que Landerneau n’a pas fini de faire parler d’elle !
Hannibal LECTEUR, beaucoup de bruit pour rien
En bonus : un documentaire qui va faire du bruit, mais pas uniquement où vous savez ! Les 100 lieux qu’il faut voir – Landerneau et sa région
Notes et références – Du bruit dans Landerneau
Le logo du Pont de Rohan figurant sur l’illustration principale est repris du travail de Paul Verveine. Il s’agit à l’origine d’une affiche pour une exposition de 2010 célébrant les 500 ans de la structure.
[1] On confond parfois avec saint Ténénan, qui aurait été le premier saint patron de Landerneau. Certains historiens pensent d’ailleurs que saint Arnoc et saint Ténénan sont en fait le même saint.
[2] Les toponymes commençant par « Lann » correspondent à des lieux sanctifiés.
[3] Aristide Mathieu Guilbert établit ainsi dans son Histoire des Villes de France, (1844), que le nom de Landerneau serait antérieur à la construction du monastère du Saint Ernoc. Il viendrait en réalité « comme toutes les cités commençant par Lan, de l’établissement politique des Kimris » (peuplade celto-gauloise).
[4] Le site de Landerneau abritait sans doute une agglomération dès la période romaine. Les inventaires archéologiques du XIXe siècle signalent de nombreux vestiges entre la ville et les environs de Traon-Elorn.
[5] Alexandre Duval, Les Héritiers, ou le naufrage, pièce de théâtre jouée pour la première fois au Théâtre-Français le 27 novembre 1786.
[6] Source : Petite histoire des expressions, Gilles HENRY, Marianne TILLIER, Isabelle KORDA, p. 211.
[7] Michel-Édouard Leclerc, Yannick Le Bourdonnec, Du bruit dans le Landerneau, Albin Michel, 2004, p. 10.
[8] Jacques Cambry, Voyage dans le Finistère, ou État de ce département en 1794 et 1795, Tome second, page 168, librairie du Cercle social, Paris, 1798.
[9] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[10] Onésime Reclus, À la France, 1902.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Casserole, culinaire à vif !