Décryptage de la semaine
Notre aimable lectorat, toujours en attente d’inattendu et rêvant de révélations, va être comblé. À la veille du 1er avril, nous lui proposons un billet… cousu de fil blanc. Explication sur mesure dans un décryptage prêt à en découdre !
Mon tailleur est riche…
Au risque de ne pas vous surprendre, notre expression trouve son origine dans le monde de la couture.
Dans le métier de la confection, on utilise du fil blanc pour effectuer les premières coutures d’un vêtement. On crée l’habit en faufilant[1], c’est-à-dire en cousant à l’extérieur les différentes parties du vêtement entre elles.
Viennent ensuite les piqures fines et définitives. Le fil blanc sert de repère lors de la couture finale. On le retire une fois le vêtement terminé.
Lors de cette ultime étape, l’usage (évident) est d’utiliser un fil proche de la couleur de l’étoffe. Si on associe un tissu foncé à un fil blanc, la couture, normalement discrète et cachée, devient alors bien visible.
… mais mon décryptage est cousu de fil blanc !
L’expression cousu de fil blanc apparaît dès le XVIe siècle :
Ces bonnes gens taillent les calomnies d’étoffe noire, & les cousent de fil blanc, tout le monde y voit la cousture.
Tres-humble remonstrance, et requeste des religieux de la Compagnie de Iesus, au tres-chrestien Roy de France et de Nauarre, Henry IIII, par Louis Richomme (1599)[2]
Elle désigne ce qui ne trompe personne, un procédé grossier et apparent. Alors qu’elle devrait passer inaperçue, une manœuvre cousue de fil blanc est au contraire évidente.[3] Chose rare : la blancheur ne désigne pas ici la transparence, la pâleur ni la pureté.
La locution est reprise dans le dictionnaire A French and English dictionary (1673), par Randle Cotgrave avec le concours de Jean Loiseau de Tourval.[4]
Elle conserve le même sens aujourd’hui et s’applique également à l’intrigue d’œuvres de fiction (livres, films…). Elle a même eu droit aux honneurs de la chanson française, chez Édith Piaf :
Les ficelles du métier
Notre locution développe également des dérivés, qui continuent de filer la métaphore textile. Dans le même sens, on dit que l’on voit les ficelles (cf. un marionnettiste) ou que le fil est un peu gros :
L’orgueil me retient d’amener à mon secours quelque diversion cousue de gros fil.
Colette, Claudine en ménage,1902, p. 156.
Nous trouvons également cette autre variante chez Courteline :
Ça ne prend pas avec moi, ces malices cousues de cordes à puits.
In. Vie de ménage, Peur des coups, 1895, p. 176.
À présent, vous savez tout de l’expression du jour. J’espère que mon explication n’était pas cousue de fil blanc, au risque de me faire tailler un costard !
Hannibal LECTEUR, ne perd pas le fil
En bonus : fil bleu ou fil rouge ? Avec Riggs et Murtaugh, le résultat est cousu de fil blanc… 🎥 L’Arme Fatale 3 (1992)
Jamais trop vieux pour ces conneries !
Notes et références – Cousu de fil blanc
[1] Hé oui, faufiler, verbe transitif, est un terme de couture (1690 ; 1684 au participe passé). C’est l’altération, par attraction, de faux, de faurfiler, fourfiler (1348), fors « hors » (cf. dehors) et de fil. Au figuré, il a signifié « introduire adroitement » (1696), sorti d’usage, mais se faufiler est bien vivant aux sens de « s’insinuer (dans une société) » (1694) et de « se glisser à travers des obstacle » (1823).
[2] L’impression date de 1599 mais la publication d’origine est antérieure, bien qu’indéterminée.
[3] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[4] Néanmoins les deux auteurs sont décédés depuis plus de 40 ans quand cette édition paraît. La locution apparaît peut-être déjà dans leur édition de 1611 intitulée A Dictionarie of the French and English tongues.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Avoir la pêche