Décryptage de la semaine
Ah, la Saint-Valentin… un beau casse-tête pour les cœurs d’artichaut ! Mais quel rapport entre la plante de la famille des Astéracées et l’organe central de la circulation sanguine ? Réponse dans un décryptage… palpitant !
Une étymologie qui fend le cœur (d’artichaut)
Double dose d’étymologie pour les amoureux de la langue française, aujourd’hui !
Cœur, nom masculin[1] (vers 1050), désigne « l’organe central de la circulation sanguine ». Par un symbolisme culturel, c’est aussi le « siège des émotions, des passions, de la pensée, de l’intelligence, de la mémoire et de la volonté ».
Comme chez les Anciens, le mot est pris dès les premiers textes avec des valeurs métaphoriques. Celle de « siège des émotions, de l’amour et, en général, de l’affectivité » est la plus vivante[2].
L’artichaut, à l’image de sa valeur nutritive, a une origine riche… de sens ! Ce nom masculin apparaît en 1538 (artichault) sous nos latitudes. Il s’agit d’un emprunt de la Renaissance à l’italien, sous la forme lombarde articcioco, transmise oralement[3]. Il se base lui-même sur un mot arabe : al-kharshōf.
Cette forme, différente du toscan carciofo[4], vient probablement de l’espagnol alcarchofa. Elle emprunte à l’arabe al ḫ aršῡf. L’anglais artichoke et l’allemand Artischocke viennent du lombard.
De nombreuses langues ont adopté ce mot. Il désigne à la fois une plante herbacée potagère (Cynara scolymus) et sa partie comestible (capitules et bractées). En français, il s’applique par analogie à d’autres plantes. Tête d’artichaut désigne la partie comestible ronde et supérieure.
Un cœur d’artichaut, kesako ?
Nos deux termes se rencontrent au XIXe siècle, dans le proverbe : « cœur d’artichaut, une feuille pour tout le monde ». Les dictionnaires d’argot d’Alfred Delvau et Lorédan Larchey l’évoquent dès 1867. La locution fait allusion aux « feuilles » (bractées) imbriquées, que l’on mange une à une, et au « cœur » tendre des jeunes artichauts.
Ainsi, si l’on est du genre à :
- Tomber en pamoison dès qu’un Bel Appolon surgit ;
- Succomber aux flèches de Cupidon 15 fois par jour ;
- Ressentir des papillons dans le ventre (non, pas ceux-là) au moindre « bonjour »…
… on est un cœur d’artichaut ! Cette expression un peu péjorative et moqueuse désigne un individu volage. Ce cœur tendre se laisse charmer par un rien et distribue son amour aussi lestement que les feuilles du légume. Il aime un peu… beaucoup… passionnément… à la folie… et plusieurs fois par jour !
A noter : l’artichaut a eu d’autres sens[5], dont un argotique assez cocasse (1881). C’est une forme calembour sur le « porte-feuilles » / « portefeuille ». Il a vieilli mais son apocope artiche, nom masculin (1883), d’abord « porte-monnaie », puis « argent », est encore employée aujourd’hui[6].
Le cœur tendre et l’argent. L’artichaut est vraiment le légume symbolique de la Saint-Valentin moderne !
Hannibal LECTEUR, bourreau de travail, mais pas des cœurs,
préfère l’heure « archi-tôt » au cœur d’artichaut…
En bonus : J’aime les filles, Jacques Dutronc (1967)
Notes et références
[1] D’abord quor (vers 1050), quer (1080), cuer et coer en ancien français, puis cœur, est issu du latin cor, cordis (accusatif cordem).
[2] Par métonymie, il désigne même la personne chérie (1170), celle que l’on veut séduire (bourreau des cœurs) ou qui cherche à séduire (joli cœur, 1863).
[3] « ccio– » accentué se prononçant tcho, cho écrit à la française.
[4] Qui a donné en français l’éphémère carchoffle, avant 1506, dans un emploi figuré.
[5] Des sens figurés concrets se réfèrent également aux « feuilles » de forme hérissée (1762, « pièce de fer hérissée de pointes »)
[6] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
Retrouvez notre précédent Décryptage → La Chandeleur