Décryptage de la semaine
O’Parleur célèbre le Mardi Gras à sa façon en revenant sur le Carnaval ! Ah ! Cette période de l’année où les gens se déguisent et se retrouvent dans les rues pour des festivités. Jets de confetti, chants, danses, défilés et parades… Mais d’où vient la tradition ? Il est temps de tomber le masque et de découvrir le décryptage du jour !
Au bal masqué, ohé oh… étymologie !
Carneval (1549), puis carnaval, vient de l’italien carnevalo (XIIIe siècle). A l’origine, il y a le latin médiéval carnelevare (965 dans le Latium). Ce mot est composé de carne « viande » (cf. chair) et de levare (cf. lever). Levare se comprend alors de deux façons :
- Soit au sens d’ôter la viande (cf. l’italien carne laxare) ;
- Soit par altération plaisante des formules jejunium levare « soutenir un jeûne » ou jejunium levare de carne « s’abstenir de viande »[1].
Le sens premier du mot a donc pu être « entrée en carême » (cf. carême–prenant), puis « veille de l’entrée en carême ». C’est une période caractérisée par des ripailles, licences et divertissements (comme pour le mardi gras).
L’accent étant mis sur ces réjouissances rituelles, le mot reçoit par métonymie le sens de « fête donnée lors de cette période » (1549). Par allusion à la figure symbolique et grotesque promenée dans les rues à cette occasion, il s’est employé ironiquement à propos d’une personne à l’accoutrement ridicule[2].
Du nom carnaval dérive l’adjectif carnavalesque[3], mais aussi certains régionalismes tels que carnavaleux (coucou, Dunkerque !) et carnavalier.
Carnaval rime avec… Lupercales !
Les carnavals se déroulent entre l’Épiphanie (6 janvier) et le Mardi Gras. Ils prennent fin 47 jours avant Pâques. S’il est difficile de dater exactement le début de cette tradition, elle se rapproche des rituels antiques. Ainsi, les Lupercales romaines (encore!) et les fêtes dionysiaques grecques sont les prémices du carnaval.
On y retrouve déjà les formes d’expressions carnavalesques : de l’usage des masques à la bombance, en passant par l’abolition des barrières sociales. On ne distingue plus le riche du pauvre sous un déguisement.
Ce sont également des rituels liés aux cycles saisonniers et agricoles. D’où l’idée de clore une saison et l’inversion de l’ordre du monde pendant un temps déterminé :
« Toute nouvelle année est une reprise du temps à son commencement, c’est-à-dire une répétition de la cosmogonie[4]. Les combats rituels entre deux groupes de figurants, la présence des morts, les saturnales et les orgies, sont autant d’éléments qui dénotent qu’à la fin de l’année et dans l’attente du Nouvel An se répètent les moments mythiques du passage du chaos à la cosmogonie. »[5]
Tradition rime avec… religion !
Comme la plupart de nos traditions modernes, le christianisme a joué un rôle dans la fixation du temps de carnaval.
Autour de l’an mille, une temporalité chrétienne commence à s’imposer. Elle départage de façon stricte une période grasse et des jours maigres. Le moment du carnaval fluctue donc, car il s’aligne sur la fête de Pâques et le Carême, fixé à quarante jours dès le VIIIe siècle.
Traditionnellement, pendant le Carême, aucune fête ne doit avoir lieu, et les gens doivent s’abstenir de manger des aliments riches, tels que la viande, les produits laitiers, les graisses et le sucre. Ainsi, le Mardi Gras marque la fin de la « semaine des sept jours gras », juste avant la période de jeûne.
Au-delà de la ripaille et des divertissements, les autorités considèrent ces moments de libération par rapport aux contraintes sociales ou religieuses comme indispensables. Il s’agit de « lâcher un peu de lest » en certaines occasions pour éviter les risques de révolte[6].
Ainsi, entre le XIe et le XIIIe siècle, on voit se développer les pratiques carnavalesques dans les villes et campagnes, sous le contrôle de l’Église[7].
C pour Carnaval : derrière ce masque, il y a une idée !
Si le carnaval est fortement ancré dans nos traditions modernes, médiatiquement et commercialement, il a également une charge symbolique forte.
Il était autrefois un jour de grande liberté, voire d’offense au pouvoir. Il pouvait avoir une forte portée politique, comme le Carnaval de Venise ![8] Entre le XVe et le XVIIIe siècle, au temps de la Sérénissime République, il s’agissait de façonner une ville à la fois solidaire et consciente d’elle-même face au reste du monde.
Si l’aspect politique et la liberté carnavalesque sont aujourd’hui en retrait, certains carnavals conservent une charge militante :
- Celui de Cologne, en Allemagne, exprime le combat pour l’émancipation des femmes ;
- Celui de Notting Hill, à Londres, est né en 1965 de la volonté de migrants afro-américains et caribéens de marquer leur insertion dans ce quartier multiethnique ;
- Celui d’Uruguay a remis en cause, entre 1973 et 1985, la culture néo-libérale.
Ces célébrations jouent également un rôle dans la cohésion sociale, politique ou dans l’identité collective de la ville (comme c’est le cas à La Nouvelle-Orléans ou dans les Caraïbes)[9]. N’oublions pas non plus la dimension artistique et créative ! Autant de raisons qui expliquent le caractère universel et intemporel de l’événement !
Hannibal LECTEUR, alias Hannibal MASQUÉ
Si le carnaval venait trois fois l’an, tous nus il mettrait les gens !
Non, il ne s’agit pas d’un éloge du nudisme mais de l’un des (rares) proverbes inspirés par le carnaval. Autrefois, l’événement occasionnait de folles dépenses. L’occasion d’évoquer ici le Carnaval de Rome.

Il fut jadis et jusque durant le XIXe siècle l’un des événements les plus grands, spectaculaires, anciens et célèbres du monde. On le connait par des tableaux, gravures et descriptions. Les évènements principaux du Carnaval de Rome étaient la promenade de masques avec bataille de confetti et bouquets, la course des chevaux libres, appelée course de Barberi, et la bataille de bougies.
Le faste de tels événements a donné un autre dicton populaire : mieux vaut un peu chaque jour que trop au carnaval.
En bonus : Nota Bene – « L’Histoire du carnaval et des loisirs au Moyen-Âge »
Notes et références
[1] Une attestation de 1268 chez Godefroy (quarnivalle) est très douteuse. Le mot ne semble se répandre hors de l’Italie que peu avant le XVIe siècle (espagnol carnaval 1495 ; carnivalia 1544 aux Pays-Bas).
[2] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[3] Carnavalesque (1845, Théophile Gautier) est emprunté à l’italien carnavalesco, carnevalesco (XIVe siècle), dérivé de carnevalo. Le mot, qui signifie « du carnaval », est employé spécialement en ethnologie. Depuis la diffusion des écrits du critique littéraire Mikhaïl Bakhtine, il s’emploie aussi en sémiologie. Il caractérise alors les récits et styles d’opposition « dialogique » dans le rire satirique.
[4] Récit mythologique expliquant la création du monde.
[5] Mircea Eliade, Le Mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, pp. 69, 78, 91.
[6] Source : National Geographic, « Histoire : aux origines du carnaval ».
[7] Il existe des fêtes aux buts similaires ailleurs : Halloween en Irlande (veille du 1er novembre) ; et, dans d’autres pays européens, en décembre, les célébrations de saint Nicolas et de saint Étienne.
[8] A noter : dans la République de Venise, le plus ancien édit conservé mentionnant le carnaval date de 1094.
[9] Source : National Geographic, « Histoire : aux origines du carnaval » et France Culture, « Pourquoi le carnaval est une fête intemporelle et universelle »
Retrouvez notre précédent Décryptage → Cœur d’artichaut