Décryptage de la semaine
Ah, qu’on est bien à rêvasser près du radiateur ! Bercé par la voix lointaine du professeur, l’esprit vagabonde à la simple contemplation d’une fenêtre, porte ouverte vers l’imaginaire infini et…
– M’sieur ! M’sieur ! Y’a Hannibal qui fait encore l’cancre!
– Fayot, va !
– SILENCE DANS LA CLASSE ! Élève Lecteur, au tableau !
La rentrée commence bien… (Je voudrais que ce soit déjà terminé !)
Un cancri d’amour
Cancre, nom masculin, n’est pas très assidu puisqu’il apparaît une fois au XIIIe siècle… et on ne le voit plus jusqu’en 1552 ! Absence injustifiée !
Il vient du latin cancer, cancri, qui signifie « crabe ». Il traduit et reprend le sens du grec karkarinos « crabe », « chancre »[1], également « pinces », « paire de compas »[2].

Le sens propre de « crabe tourteau », relevé chez Bernardin de Saint Pierre, est sorti d’usage au profit d’extensions métaphoriques diversement motivées.
Le cancre crabe aux pinces dort d’or
En référence à la démarche lente et difficile du crabe, le mot est entré dans l’argot scolaire à propos d’un élève nul (1662).

Les sens de « pauvre diable » (1651, La Fontaine) et d’« homme méprisable (pour sa rapacité) » (1740, par allusion aux pinces du crabe) sont sortis d’usage.
En revanche, on évoquera la cancrerie, nom féminin (1885), pour désigner familièrement la nullité d’un élève[3].
Mais qu’importe au fond si nos notes dénotent et si notre scolarité provoque l’hilarité :
Le premier de la classe ignore le plaisir que prend le cancre à regarder par la fenêtre.
Robert Doisneau
À défaut de soigner sa rentrée, on peut donc réussir sa sortie !
Hannibal LECTEUR, c’est cancre le bonheur ?
En bonus : Qui mieux que les Sous-doués pour rendre hommage aux cancres ? On a un grand poil dans la main ♫ Daniel Auteuil (1980)
Notes et références – Cancre
[1] Citons également cancrelat, nom masculin. C’est la réfection, sous l’influence de cancre (1775, cancrelas), du plus ancien cackerlac (1704). Celui-ci est emprunté au néerlandais kakkerlak « blatte d’Amérique », lui-même originaire d’Amérique du Sud (par l’espagnol) ou d’Espagne et attesté depuis 1675 (mais antérieur à en juger par le bas allemand attesté dès 1524).
Le mot désigne un insecte qui infeste les navires et les denrées alimentaires. Par métaphore, il désigne péjorativement une personne sournoise, répugnante, envahissante, avec une valeur voisine de celle de cloporte.
[2] Les deux mots appartiennent, avec le grec karkaros « dur » et le sanskrit karkata « crabe », à une racine indoeuropéenne.
[3] À la différence de cancre, il a vieilli au profit de synonymes. Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Il « Été » une fois ~ La fin de l’Été