Décryptage de la semaine
O’Parleur fête les 134 ans du Moulin Rouge et passe en revue l’origine du mot cabaret !
Life is a cabaret ♫
Cabaret, nom masculin, d’abord attesté dans l’expression tenir kabaret (1275), est emprunté au moyen néerlandais cabaret ou caberet, cabret. À l’origine, il signifie « auberge, restaurant bon marché »[1].
Le mot, d’abord presque exclusivement attesté en picard et en wallon[2] au XIIIe et XIVe siècle, s’est répandu vers le Sud. Il a progressivement perdu son sens premier (du moins en France) au profit d’autres termes synonymes.
Cependant, dès le XVe siècle, certains cabarets sont des lieux où l’on se réunit pour boire[3] et jouer plutôt que pour manger ; ce sens semble dominer au XVIIe siècle. Furetière distingue d’ailleurs le mot de « taverne », qui désigne un lieu où l’on s’assied à table pour manger.
Un sens qui fait le café
Après l’apparition et la concurrence de café, cabaret s’applique à des établissements modestes, populaires et de petite taille[4] ; mais café et ses synonymes (notamment bistrot) limitent de plus en plus son emploi.

Dès 1842, Paul de Kock écrit :
Il n’y a plus à Paris de cabarets proprement dits, mais il y a quantité de marchands de vin.
Par extension, cabaret de nuit s’applique à un petit établissement de spectacle où l’on consomme. Cet emploi correspond au développement d’établissements de ce genre à Montmartre et à Montparnasse au début du XXe siècle, sur le modèle de certains lieux fréquentés au XIXe siècle par la bohème artistique, comme Le Chat Noir.
L’occasion d’enchaîner avec notre numéro sur le Moulin Rouge !
Le plus grand cabaret du monde
Le Moulin-Rouge est un cabaret parisien fondé en 1889 par Joseph Oller et Charles Zidler[5].
L’inauguration a lieu le 6 octobre 1889, au pied de la butte Montmartre à l’emplacement de l’ancien Bal de la Reine Blanche. Cette date est un coup de génie « marketing » puisque la veille au soir, aux Champs-Élysées, le Jardin de Paris (des mêmes propriétaires…) donnait sa dernière fête avant sa fermeture annuelle. Les habitués sont donc conviés à l’inauguration de ce nouveau lieu de plaisirs et de divertissements[6].
Et quel lieu !
Oller et Zidler imaginent un établissement rehaussé d’un imposant moulin peint en rouge et illuminé la nuit. Il est ainsi bien visible depuis les Grands boulevards et le bas de la rue Blanche.
Dessiné par Adolphe Willette, le Moulin-Rouge est le premier bâtiment électrifié de Paris. Par sa forme et sa couleur, il devait être l’enseigne de l’établissement ; il est devenu l’un des emblèmes de Paris.
Surnommé « Le Premier Palais des Femmes » par ses propriétaires, le cabaret connaît rapidement un vif succès.
Un lieu à part dans Paris
Le Moulin-Rouge est un lieu extravagant où tous les milieux se côtoient : employés, résidents de la place Blanche, artistes, bourgeois, hommes d’affaires, femmes élégantes et étrangers de passage…

Il symbolise la rencontre des deux Montmartre à la fin du XIXe siècle : celui des fêtes et celui des artistes. Dans un Paris toujours plus grand, plus pollué et tentaculaire, Montmartre se distingue en gardant cet aspect bucolique et cet esprit « familial ».
C’est un cocon, un refuge où l’on vient chercher le plaisir et la beauté.
Le Moulin-Rouge est un lieu prisé des artistes : on y croise Renoir, Braque, Apollinaire, Picasso, Proust, Modigliani ou Soutine, pour ne citer qu’eux. Le plus emblématique reste Henri de Toulouse-Lautrec. Ses affiches et ses tableaux assureront au Moulin-Rouge une notoriété rapide et internationale.

Le lieu doit également sa renommée à ses numéros : on y donne de grandes fêtes, où le champagne coule à flots, les spectacles comiques succèdent aux danses endiablées.

D’ailleurs, une nouvelle danse inspirée du Quadrille ou « chahut » gagne en popularité. Son nom ? Le French Cancan ! Exécutée sur un rythme endiablé par des danseuses aux costumes affriolants avec des jupons et des culottes fendues, elle devient un incontournable du cabaret.
Le Premier Palais des Femmes
Avec le Moulin-Rouge, Oller et Zidler voulait créer « le premier palais de la femme. » Si les hommes sont bien représentés[7], la femme joue un rôle primordial dans l’histoire du cabaret. Pour la première fois, le corps féminin s’exhibe « librement » en dehors de la sculpture et de la peinture.

Dans cette société encore très puritaine, les hommes viennent s’encanailler en regardant les danseuses exhiber leurs « gambettes » lors du French Cancan.

Des danseuses illustres resteront dans l’Histoire du Moulin-Rouge, incluant, Jane Avril, la Môme Fromage, Grille d’Égout, Nini Pattes en l’Air, Yvette Guilbert, et beaucoup plus tard Mistinguett.

Louise Weber, surnommée « la Goulue » reste la plus célèbre d’entre elles. Par son audace et son énergie, elle est devenue une véritable « star » des nuits à Montmartre. Tête d’affiche permanente, elle est le symbole du cancan et du Moulin-Rouge. Artiste la mieux payée de Paris, elle est adulée par Henri de Toulouse-Lautrec qui en fait son modèle favori.
L’héritage du Moulin-Rouge
La notoriété du cabaret dépasse très vite les frontières. En 1900, l’Exposition universelle attire des visiteurs du monde entier. L’occasion pour ces milliers de curieux de visiter le Moulin-Rouge. L’établissement fait forte impression et on voit naître des émules de « Montmartre » et des « Moulins Rouges » dans toutes les capitales du monde.
Le cabaret a perduré jusqu’à nos jours, malgré les épreuves et le passage du temps. Le secret de son succès et de sa longévité ? Il a toujours su se réinventer tout en conservant ses classiques ! Des spectacles extravagants des débuts aux revues somptueuses, voilà un moulin qui, loin de brasser de l’air, n’a pas fini de nous subjuguer !
N’oublions pas non plus son passage à la moulinette hollywoodienne en 2001 dans le film éponyme… ni la chanson de Lady Marmelade (reprise du tube de Labelle en 1975). L’occasion pour les touristes français(es) de l’époque de se faire interpeller très subtilement par un « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? »…
Au terme de ce décryptage, nous vous souhaitons un bon week-end, que vous restiez chez vous ou que vous alliez au cabaret. Quoiqu’il en soit, c’est vous qui menez la danse !
Hannibal LECTEUR, le clou du spectacle
En bonus : cabaret oblige, un peu de French Cancan (1868)
Le French Cancan est repris et arrangé du célèbre opéra-bouffe Orphée aux Enfers, de Jacques Offenbach (1858, il s’agit du Galop infernal d’Orphée aux Enfers).
Notes et références – Cabaret
[1] Ce mot est la forme dénasalisée de cambret (aussi cameret, camerret) de même sens, emprunté à l’ancien picard camberete « petite chambre » (vers 1190), correspondant au français chambrette (cf. chambre).
[2] D’ailleurs, cabaretier, cabaretière, nom (1360-1370), « tenancier d’un cabaret », est presque exclusivement attesté en picard et en wallon jusqu’au XVIe siècle, de même que son synonyme cabareteur. Il est courant au XVIIe et au XVIIIe siècles, de même que tavernier. Encore employé au début du XXe siècle en milieu rural, il est aujourd’hui hors d’usage.
[3] Il ne faut pas confondre avec « l’autre » cabaret qui est l’altération (1535) d’après cabaret (au sens de « lieu où l’on boit »), de bacaret. Bacaret désigne une « plante dont les feuilles opposées se soudent, formant un réceptacle pour l’eau de pluie » (1541). Le mot s’emploie seul ou dans la locution cabaret des oiseaux, sous forme de métaphore plaisante.
[4] Par métonymie, le mot s’est appliqué à un plateau ou table utilisé pour servir le thé, le café, les liqueurs (1694, cabaret de Chine). Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[5] Qui possédaient déjà l’Olympia. Joseph Oller fut, entre autres l’inventeur du Pari mutuel en 1867. Il fonde également l’un des premiers grands parcs d’attraction avec les montagnes russes boulevard des Capucines en 1887. Enfin, il créé l’Olympia en 1893.
[6] Source : L’Intransigeant des 4 et 9 octobre 1889, cité in Pierre Esperbe: Les Histoires de Paris, 2005, Éditions L’Harmattan, Paris p. 8
[7] Notamment avec Valentin le Désossé.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Tonneau des Danaïdes