Décryptage de la semaine
♫ Sur une plage, il y avait une belle fille qui avait peur d’aller prendre son bain. Elle tremblait de demander au Décryptage du O’. Un, deux, trois… Elle tremblait de demander quoi ? L’origine du itsy bitsy teenie weenie, tout petit, petit bikini ♫
Risque de naïade sur la plage
Au risque de surprendre notre auditoire, l’invention du maillot deux-pièces est très ancienne. Mais alors… Portait-on déjà le bikini dans l’Antiquité ? Oui et non !
Oui, car un vêtement similaire existait déjà à l’époque… et non, car ce n’était pas un bikini. Il s’agit en fait de l’une des deux tenues de sport portées par les femmes – avec la tunique courte – pour pratiquer l’athlétisme[1].

On trouve déjà des représentations de « bikinis » à l’époque chalcolithique (ou l’âge du cuivre), notamment sur le site de Çatalhöyük[2], en Turquie. Les historiens estiment que les femmes portaient des « bikinis » à des fins sportives dans la Grèce antique en l’an 1400 av. J.-C[3].

En 1920, Les archéologues, mettent au jour la villa romaine du Casale, à Piazza Armerina, en Sicile (Italie). Elle contient des mosaïques datées du premier quart du IVe siècle. L’une d’elle représente des jeunes sportives s’entraînant ainsi vêtues[4].

Quant aux activités aquatiques, il semble que l’on s’y adonnait… dans le plus simple appareil !
Itsy bitsy petit bikini Eschscholtz ?
Bikini, nom masculin, est emprunté (1946) au nom géographique Bikini[5], nom d’un atoll du Pacifique du groupe des îles Marshall.


L’atoll est découvert par l’expédition d’Otto von Kotzebue[6] (1823-1826). On le baptise alors « île… Eschscholtz »[7].

Comme nom de maillot de bain, cela sonne tout de suite moins bien ! Elle se nommera ainsi jusqu’en 1946, date à laquelle elle va connaître une renommée mondiale.
ATOLL ! Les… physiciens (nucléaires)
Cédant à la facilité des pics d’audience racoleurs, nous vous proposons aujourd’hui de voir une véritable bombe en bikini !
3…
2…
1…
Pardon ! Nous voulions dire À Bikini !
En 1946, Bikini devient le théâtre d’essais d’armes atomiques menés par les États-Unis. Le 7 mars 1946, on évacue la population indigène de l’île sur l’atoll de Rongerik. La première explosion de l’opération Crossroads a lieu le 1er juillet 1946. En tout, il y aura 67 expériences nucléaires, dont 23 explosions de bombes A et de bombes H, entre 1946 et 1958, dont celle de Castle Bravo, la plus puissante bombe H américaine. Trois îles seront rayées de la carte durant ces expériences[8].

Ce que les américains ignorent (outre l’impact écologique désastreux…), c’est que leurs essais vont faire du bruit… dans le milieu de la mode française !
Le nombril du monde
A Paris, Louis Réard, un ingénieur automobile (!), vient de créer un nouveau modèle de maillot deux-pièces « révolutionnaire »[9]. Bien qu’ingénieur, il tient la boutique de lingerie de sa mère près des Folies Bergères. Il remarque que les femmes baissent leurs maillots de bain pour mieux bronzer.

D’où l’idée d’un nouveau modèle de maillot moins couvrant ; 1 m2 de tissu constitué d’un bandeau pour le haut et de deux triangles inversés pour le bas. Ainsi, le nombril est dévoilé pour la toute première fois.
Quant au nom, il est tout trouvé : s’inspirant de l’essai américain ayant eu lieu quelques jours plus tôt, le bikini est né ! L’idée marketing de Réard est simple : une femme en bikini est censée faire le même effet que la bombe. Parmi les slogans inventés, on trouve notamment : « Le Bikini, la première bombe an-atomique ! ».
Adressant une pique à la concurrence (Jacques Heim et son « Atome », cf. note), on affirme qu’il est « plus petit que le plus petit des maillots du monde ». Preuve à l’appui, le bikini sera vendu dans des boîtes d’allumettes.
Le lancement du bikini : pétard mouillé ou véritable bombe ?
Louis Réard présente son modèle pour la première fois le 5 juillet 1946, à la piscine Molitor. Il a eu les pires difficultés pour trouver un modèle acceptant de porter le maillot. En effet, on juge le vêtement vulgaire, indécent, obscène…
C’est finalement Micheline Bernardini, une célèbre danseuse nue du Casino de Paris, qui est la première à porter le bikini.

Si le maillot fait son petit effet, le succès n’est pourtant pas immédiat. Considéré comme sulfureux, il est d’abord interdit en Italie, Belgique, Espagne et France[10] (1949). Il faut attendre un second « lancement » au début des années 60 pour qu’il devienne un véritable phénomène de mode. Son apparition au cinéma et le « BOOM » touristique sur toutes les plages d’Europe[11] facilitent sa démocratisation. Il atteint le succès mondial en 1962 grâce à l’extrait d’un « petit » film…
Ursula Andress : James Bond & le cinéma (et la mode) lui disent (mille fois) merci !
Depuis cette époque, le bikini est largement entré dans nos mœurs et sur les plages !
Le bikini aujourd’hui
En France, le bikini désigne immédiatement le maillot de bain. Le mot a été repris par l’anglais et dans d’autres langues dès 1948. En américain, il a d’abord le sens d’ « énorme explosion » (1947).

S’il est parfois considéré comme vieilli (suggérant l’époque 1946-1960 ou 1970)[12], il reste vivace dans notre langue. Il connote aujourd’hui une forme de charme balnéaire et de séduction, propres à la période estivale.
Il a depuis sa création connu plusieurs variantes[13], avec plus ou moins de tissu, et toujours un léger parfum de scandale. On ne change pas une recette qui gagne, surtout quand il s’agit d’un cocktail aussi explosif !
Hannibal LECTEUR, bikini pas bandit
En bonus : Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polkadot Bikini ♫ par Bombalurina (1990)
Le charme kitsch des années 90 ! A l’origine, il s’agit d’une chanson fantaisiste écrite par Paul Vance et Lee Pockriss. C’est un Bryan Hyland encore adolescent (16 ans), qui la chante pour la première fois en juin 1960.
La chanson raconte les mésaventures d’une jeune fille à la plage. L’ingénue n’ose pas quitter sa cabine après avoir revêtu son bikini (jaune à pois). Une fois sur la plage, n’osant se dévoiler davantage, elle reste assise sur le sable, enveloppée dans une serviette. Quand elle se baigne enfin, elle n’ose pas non plus sortir de l’eau même si elle a froid.
Nous ne commenterons pas ici la portée philosophique des paroles (émancipation, regard des autres, évolution des mœurs…) mais la chanson a contribué a populariser le bikini aux États-Unis. Si bien que, paradoxalement, les américains, pourtant réputés forts puritains, l’adopteront avant l’Europe.
Comme de nombreux tubes de l’été a posteriori, la chanson connaîtra des adaptations à l’étranger, dont en France. La première fut celle de Dalida, suivie ensuite par Johnny Halliday, Richard Anthony, Dario Moreno, Line Renaud… Autant de voix et de registres différents pour un maillot de bain. Louis Réard avait vu juste : bien loin du pétard mouillé, le bikini a fait l’effet d’une bombe !
Notes et références – Bikini
[1] In. Éliette Abécassis, Deux-pièces. Le premier bikini, éd. Steinkis, Coll. Incipit, 2016. Lire en ligne.
[2] Fondé à la fin du VIIIe millénaire av. J.-C. Source : Henri-Irénée Marrou, « Sur deux mosaïques de la villa romaine de Piazza Armerina », Publications de l’école française de Rome, vol. 35, no 1, 1978, p. 253–295. Lire en ligne.
[3] Il s’agit des preuves les plus anciennes collectées, mais le port du « deux-pièces » pourrait être antérieur.
[4] Hubert Delobette, « L’objet : le bikini », émission Karambolage sur Arte, 4 août 2013.
[5] Bikini serait une déformation du nom mélanésien local Pikinni que l’on traduit par pik (« aire », « surface ») et ni (« cocotier »).
[6] Otto von Kotzebue (1787-1846), est un explorateur et navigateur germano-balte, sujet de l’Empire russe et officier de la marine impériale qui fit trois fois le tour du monde. Les études ethnographiques de Kotzebue sont précieuses et expliquent encore aujourd’hui les fondements de la population des îles Marshall.
[7] D’après Johann Friedrich von Eschscholtz (1793-1831), un médecin, botaniste et naturaliste allemand. Médecin et observateur scientifique lors du voyage de Kotzbue, il est aussi l’un des premiers scientifiques à étudier le Pacifique, notamment l’Alaska et la Californie. Outre la future île de Bikini, son nom est aussi donné au genre botanique Eschscholzia (sans t entre le l et le z), auquel appartient le pavot de Californie. C’est le poète et botaniste allemand Adelbert von Chamisso, qui participa aussi au voyage, qui le nomma en son honneur.
[8] Pour information, il est aujourd’hui possible d’y faire du tourisme à condition de signer une décharge indiquant que l’on renonce à toute poursuite en cas de cancer. Selon les autorités, les séjours de courte durée ne présenteraient pas de risque sanitaire particulier si on s’abstient de manger les fruits et légumes de l’île. Dans ce cas, tout va bien !
[9] Dans l’ère moderne, Carl Jantzen créé le premier maillot deux pièces fonctionnel en 1913. En 1932, le couturier parisien Jacques Heim lance « Atome », un maillot de bain deux-pièces. Son créateur le présente alors comme le « plus petit maillot de bain au monde » : il a la taille d’un short qui découvre le ventre mais ne dévoile pas le nombril. « Atome » remplace ainsi le maillot-gaine en laine tricotée, qui pesait 500 grammes lorsqu’on l’enfilait et… plus de trois kilos lorsqu’on ressortait de l’eau ! Nous sommes encore loin d’Ursula Andress sortant de l’eau dans Dr. No !
[10] Curieusement, il est interdit sur la côte Atlantique mais pas le long de la Méditerranée.
[11] Seule exception, l’Allemagne, où il resta interdit dans les piscines jusque dans les années 1970.
[12] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.
[13] Monokini, nom masculin, résultat d’une analyse plaisante de bikini en bi-* « deux fois » et -kini est un nom déposé en même temps que bikini (1946) mais s’est diffusé plus tard. Le mot désigne un maillot de bain « une pièce », c’est-à-dire sans soutien-gorge, opposé au « deux-pièces ». Sexikini (1946) n’a pas eu le même succès.
Retrouvez notre précédent Décryptage → Farniente