Fruit du pêcher ~ Avoir la pêche

Décryptage de la semaine

Vendredi, c’est déjà le week-end et, surtout, c’est le décryptage. Comment ne pas avoir la pêche ? Cela tombe bien, c’est le sujet du jour !

 

Pêche au Grand

À l’origine, la pêche vient de Chine[1] et plus précisément la variété de pêche plate, Prunus persica (L.). On la nomme « pêche plate de Chine », d’après son nom chinois 蟠桃 (pántáo) ou 扁桃 (biǎn táo).[2]

Décryptage Avoir la pêche

Elle se répand ensuite en Inde et au Proche-Orient. Son nom latin, malum persicum, signifie « Pomme de Perse », le fruit étant nommé d’après sa provenance. Il évolue d’abord en pessica (bas latin), puis pesca (latin médiéval)[3], puis pesche (1180)[4] et enfin en pêche (1740).

Nous devons son apparition en Europe à un certain Alexandre le Grand. En effet, suite à la conquête de la Perse, ce dernier l’introduit sur le continent sous le nom de pecta.

Décryptage Avoir la pêche
Alexandre le Grand, qui devait avoir la pêche (dans tous les sens du terme) après la conquête de la Perse. (Entrée d’Alexandre le Grand dans Babylone, Charles Le Brun, 1665, Château de Versailles. Alexandre est peint avec les traits de Louis XIV)

En français comme en latin, le mot désigne le fruit du pêcher.[5]

 

Pêcher de gourmandise

En France, on cultive le pêcher depuis le VIe siècle. Cela semble devenir une habitude : le fruit ne peut s’em-pêche-er de faire tourner la tête des plus grands. Au XVIe siècle, la pêche figure en bonne place sur la table de la noblesse. Elle est aussi l’un des fruits préférés de Louis XIV. De là à dire qu’elle est sa « favorite », il n’y a qu’un pas.[6]

Décryptage Avoir la pêche
Louis XIV représenté en Alexandre le Grand, qu’il admirait beaucoup. Savait-il qu’il aimait les pêches comme lui ? (portrait de Charles Le Brun).

Entre le XVIe et le XIXe siècle, la ville de Montreuil la cultive abondamment le long de ses murs. On les baptise même « Murs à pêches » et la commune prend le surnom de « Montreuil-aux-Pêches ».

Décryptage Avoir la pêche

À partir du XIXe siècle, la pêche devient la base de desserts élaborés. Nous ne citerons que le plus célèbre d’entre eux. En 1894, le cuisinier français Auguste Escoffier (1846-1935) créé à Londres (au Savoy Hotel qu’il ouvrit avec César Ritz) la pêche Melba[7] en l’honneur de Nellie Melba (1861-1931), célèbre cantatrice australienne.

Décryptage Avoir la pêche
De la glace à la vanille, des pêches pochées, des framboises fraîches et du sucre filé. Il faut avoir la pêche pour espérer garder la ligne après un tel délice ! (Dessert original recréé par le chef Martin Chiffers au Savoy Hotel en 2012. Source : Wikipédia)

Un fruit qui en voit de toutes les couleurs !

Par métonymie, on emploie le terme  en apposition pour une nuance « rose pâle » (1803, rose pêche ; 1909, pêche).[8]

Décryptage Avoir la pêche
Une fleur de pêcher

Par allusion à l’aspect du fruit, le mot exprime une idée de velouté dans des locutions comparatives (1849) et dans teint de pêche (1884), peau de pêche.

Comme beaucoup de noms de fruits ronds, il est employé argotiquement au sens de « tête » (1878) dans la locution « se fendre la pêche » (1938).

Du coup, nous illustrons avec… une pêche fendue. Hilarant, n’est-ce pas ? (NDLR : « … »)

L’argot, qui nous gratifie toujours de son langage fleuri, désigne l’excrément, par exemple dans déposer, couler sa pêche (1866).

Décryptage Avoir la pêche
Pour des raisons évidentes de bienséance, nous n’illustrerons pas !

Enfin, tenir ou avoir la pêche pour « avoir la forme » (synonyme approximatif : la frite) apparaît en 1960. Seul problème : ce sens n’est pas expliqué.[9] Tout ça pour ça ?! Pas de panique, il existe quand même deux hypothèses.

 

Avoir la pêche : les origines potentielles

La première hypothèse nous ramène aux origines, donc à la Chine.

Dans la culture chinoise, au IIIe siècle, on associe le fruit aux pêchers légendaires, cultivés par la Reine-Mère de l’Occident, Xiwangmu. La légende raconte que la consommation de ces pêches procurait l’immortalité ; d’où le nom de 仙果 (xiānguǒ) « fruit des Immortels », ou 寿桃 (shòutáo) « pêche d’immortalité ».

Avoir la pêche garantirait donc d’avoir une forme éblouissante, voire éternelle.

La seconde hypothèse nous oblige à prendre des gants pour l’expliquer puisqu’elle concerne le milieu de la boxe.

Les boxeurs se donnent des coups (sans rire ?), baptisés parfois « patates » ou « pêches ».

Avoir la pêche est alors un signe de force (celui qui s’en prend une risquant plutôt de sucrer les fraises).

Quelle explication préférez-vous ?

À l’issue de ce décryptage, nous vous souhaitons donc d’avoir la pêche, afin de ne pas tomber dans les pommes !

Hannibal LECTEUR, a un pêcher mignon

 

En bonus : avoir la pêche, c’est bien. Avoir la recette de la pêche Melba, c’est encore mieux !

 

Notes et références – Avoir la pêche

[1] Un site archéologique datant de la dynastie Shang (-1570, -1045) dans le Hebei a révélé deux noyaux de pêches semblables à ceux des pêches issues des cultivars de pêchers actuels. Beaucoup d’autres noyaux ont été découverts dans les régions du sud de la Chine (Sichuan, Guizhou) dans la période pré-Qin (avant -221).

[2] En ce qui concerne les écrits, il faut attendre le premier texte littéraire, le Classique des vers (shijing 詩經, « livre des odes »), composé entre le VIIIe et le IIIe siècle avant notre ère, pour trouver les premières mentions du pêcher.

[3] D’après persica « fruit du pêcher » (VIe siècle), pris comme féminin singulier de persicum (Ier siècle).

[4] D’abord écrit persches (fin XIe siècle) mais cette graphie est douteuse.

[5] Les noms du pêcher en latin étaient persica arbor « arbre de Perse », persicus (Ier siècle) « persan » et persica malus « pommier, arbre de Perse » (Ve siècle).

[6] En effet, il fait cultiver trente-trois variétés de pêchers différentes dans son jardin fruitier à Versailles, grâce à son jardinier, Jean-Baptiste de La Quintinie. Parmi ces variétés, on trouve la Belle de Vitry ou le Téton de Vénus — particulièrement appréciée par le roi Louis XVI.

[7] Le dessert s’appelle d’abord « Pêche au cygne ». En effet, à l’époque, la cantatrice se produit dans Lohengrin de Richard Wagner. Un cygne figure dans la représentation de l’opéra. On rebaptise le dessert en pêche Melba lors de l’inauguration de l’hôtel Carlton de Londres en 1899. Cette appellation culinaire est définitivement attestée en 1903. Lire l’histoire complète du dessert sur le Blog de Gallica.

[8] La locution fleur de pêcher signifie « rose vif » et se dit de la robe d’un cheval qui présente des bouquets de poils rouges sur un fond blanc.

[9] Source : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française.

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