Cette figure de style consiste à désigner une personne par une expression qui la décrit :
« Le roi du décryptage» pour Hannibal LECTEUR… « L’Inventeur de la psychanalyse » pour Sigmund Freud.
Ou à employer un nom propre typique pour caractériser une personne :
« Le nouveau Shakespeare» pour un dramaturge admiré.
Voici quelques exemples célèbres : un « Don Juan » (un séducteur), un « Tartuffe » (un hypocrite), un « Harpagon » (un avare), une « Pénélope » (une épouse fidèle), un « Apollon » (un bel homme), un « Brummell » (un élégant), un « Staline » (un dictateur sanguinaire), un « Michel-Ange » (un grand peintre)[4].
Une figure qui se fait un nom (commun ou propre)
Certaines antonomases courantes finissent par se lexicaliser et figurent dans les dictionnaires usuels (comme calepin[5] ou silhouette[6]). La plupart du temps, le nom propre utilisé est celui d’une personne – réelle ou imaginaire – comme pour diesel[7], béchamel[8], ampère[9]. Ces noms communs sont tous des noms propres à l’origine (noms de savants, d’inventeurs, personnages de fiction, mythologiques, etc.).
Il existe également des antonomases issues de prénoms fréquents : un jules désigne ainsi « un homme, un mari » tandis qu’une nana [de Anna] est « une femme ou une fille, une copine ».
Enfin, plus cocasse, on peut également faire des antonomases avec des noms… d’anonymes ! Il s’agit alors d’une personne dans l’entourage proche, dont on moque l’un des défauts. Exemple : « – Je vais partir à 7h00 pour être certain d’être à l’ouverture à 9h00 / – Ne fais pas ton Georges ! »[10].
Jeu dit nom
Avant de nous quitter, nous vous proposons un petit jeu d’adresse intellectuelle. Saurez-vous retrouver ces antonomases, grâce à nos indices ? Il s’agit d’objet, de marques, etc… que l’on évoque au quotidien.
Pour les plus joueurs, prenez votre temps. Pour les plus pressé(e)s, cliquez sur la balise « Réponse ».
Nous commençons par les noms propres avec …
L’antonomase est une ordure
Vous voulez la réponse ? C'est du propre !
Eugène Poubelle, préfet de la Seine, généralise l’usage de la poubelle en 1884 à des fins de salubrité publique. La postérité reconnaissante donnera son nom au récipient contenant les déchets ménagers. Il est également l’instigateur du tout-à-l’égout, suite à la dernière résurgence du choléra en 1892.
Les noms de concepts ou de produits qui tirent leur origine du patronyme de leur créateur sont des exemples d’antonomase[11].
Une antonomase plutôt culottée
Pour une réponse pudique...
Encore un objet du quotidien bien pratique !
A l’origine, Pantalon est un personnage de la commedia dell’arte s’habillant d’un pantalon. Bien que l’habit du personnage soit originairement collant et rouge, le mot pantalon désigne actuellement toutes sortes de culottes longues.
Pantalon vu par Maurice Sand, 1860.
Voici l’occasion d’expliquer un phénomène intéressant. Dès que l’antonomase du nom propre se lexicalise, la sensation d’avoir affaire à un nom commun domine peu à peu. On conserve la majuscule tant que le lien avec le nom propre originel est conscient. Dès que ce lien disparaît, le nom propre devient un véritable nom commun autonome, s’écrivant par conséquent sans majuscule. À titre d’exemples, on peut penser aux mots « mécène » (qui nous vient du personnage historique) ou « mentor » (du personnage de l’Odyssée).
Pour se mettre dans le bain
Cliquez sur la réponse et réveillez en vous le tourbillon d'un vent de folie.
Jacuzzi est la marque américaine à l’origine des jacuzzis (pardon, bains tourbillons), du nom de l’inventeur italien Roy Jacuzzi.
Le nom de certaines marques déposées passe parfois dans le langage courant pour désigner certains objets. Aujourd’hui, très souvent, on préfère citer directement la marque pour désigner une substance, comme pour l’eau minérale : de l’Évian, de la Vittel… Idem pour un produit à récurer (du Cif, de l’Ajax).
D’ailleurs, l’eau de Javel, tirant son nom du quartier de Javel, désigne couramment une solution d’hypochlorite de sodium. Quant à l’eau de Cologne, d’après la ville de Cologne, elle désigne une solution alcoolisée parfumée.
Les invasions barbares vous parlent ?
Non ? Mais comme vous êtes bons en géographie, vous trouverez la réponse ici !
Genséric, le fondateur du royaume vandale en Afrique du Nord-ouest, gravure sur bois (XIXe siècle).
Les Vandales sont un peuple germanique qui envahit l’Empire romain au Ve siècle. Aujourd’hui, le terme désigne un individu destructeur. Une réputation usurpée car ils n’étaient ni plus violents, ni plus destructeurs que d’autres « barbares ».
L’antonomase se base également sur l’origine géographique. On la retrouve souvent dans les labels pour des productions de consommation. Songez aux fameuses « appellations d’origine contrôlée ». Ultérieurement, on désigne souvent un produit ainsi labellisé par antonomase ; exemples : un brie, un roquefort, un bordeaux… Il ne porte pas de majuscule à l’initiale[12].
A présent, quelques antonomases du nom commun, pas banales non plus !
Si je vous dis « le Poète », vous pensez à… ?
Une rime du style « la réponse est chouette » !
Virgile, Horace et Varius chez Mécène (Charles Jalabert, vers 1846).
Virgile ! Il s’agit d’une antonomase d’excellence. Plutôt rare de nos jours, elle utilise le domaine dans lequel la personne excelle pour la qualifier. Ici, on considère Virgile comme le plus grand des poètes.
Cet exemple nous permet d’évoquer une autre caractéristique de l’antonomase. Elle suppose une connaissance partagée des qualités essentielles des personnages ainsi évoqués (qu’il s’agisse d’un nom commun ou propre). Si je dis « l’Orateur », il n’est pas certain que l’on répondra automatiquement « Démosthène » (certains penseront davantage à Cicéron). Idem si je qualifie quelqu’un de « Tabarin » (mais maintenant, vous savez).
Préparez-vous à faire un triomphe à l’antonomase suivante
Pourtant, il ne faut pas être une flèche pour répondre !
L’Arc de Triomphe, évidemment ! On obtient beaucoup de noms propres au moyen de l’antonomase du nom commun. Ainsi, il existe de par le monde de nombreux arcs de triomphe (nom commun), mais pour un Parisien, voire un provincial Français, il n’y en a qu’un.
A travers les divers mythes et religions du monde, il existe une infinité de dieux (nom commun), mais pour un monothéiste, il n’y en a qu’un seul, simplement appelé « Dieu » (nom propre, sans déterminant). En histoire, on appelle une période de prospérité succédant à une période de crise une « renaissance » (nom commun) ; par exemple, la renaissance carolingienne au IXe siècle. Mais la Renaissance désignera toujours la période de renouveau des arts qui suit le Moyen Âge.
Notons que dans certains cas, l’antonomase peut prêter à confusion.
Sherlock Holmes ou Carrie Bradshaw ? Pour vous, « The City », c’est Londres ou New-York ?
Restons en ville avec la Mecque du cinéma
Fraîcheur de vivre ? Réponse toute chaude !
Hollywood, la ville-phare du cinéma (mais aussi des remakes à la pelle, des services VOD identiques et trop chers et des derniers scandales à la mode). Belle antonomase par périphrase ou pronomination. Ici, l’accessoire se substitue à l’essentiel.
L’analogie entre « La Mecque, ville incontournable pour les pèlerins musulmans » et n’importe quelle ville pouvant jouer une rôle similaire dans un autre contexte, invite à analyser cette antonomase comme une métaphore.
Nous aurions également pu citer : « Le Stagirite » (Aristote), « L’Île de Beauté » (la Corse), « Le Monstre des Carpates (Dracula)…
Pour revenir à Hollywood, quand la suite d’un film est réussie, les critiques et le public américain ont tendance à utiliser les titres du Parrain II ou de L’Empire contre-attaque pour souligner la grande qualité du film ; « Le Prisonnier d’Azkaban est l’Empire contre-attaque de la saga Harry Potter » ; « The Dark Knight est le Parrain II de Batman Begins ».
Cela nous inspire d’ailleurs indirectement notre dernier exemple.
L’empereur contre-attaque
Et le César de l'antonommase ultime est attribué à...
Auguste Bevilacqua, buste de l’empereur portant la couronne civique (Glyptothèque de Munich).
« Auguste » et « auguste » englobent l’antonomase dans son entièreté. L’adjectif latin augustus signifie « majestueux, vénérable, solennel, divin ». En 27 av. J.-C., Octave, premier empereur romain, reçoit du Sénat le titre d’Imperator Caesar Augustus. L’Histoire l’appellera désormais Auguste.
→ L’antonomase de l’adjectif/nom commun devient un nom propre.
Dès la fin du Ier siècle, les empereurs romains adoptent le titre d’« Auguste ».
→ Il s’agit là d’une antonomase du nom propre pour un autre nom propre.
À la fin du IIIe siècle, Dioclétien instaure le système de la tétrarchie : l’empire est alors gouverné par quatre empereurs :
Deux empereurs de premier plan, appelés « augustes » ;
Assistés de deux coempereurs, appelés « césars ».
→ Les mots « auguste » et « césar », deviennent des noms communs, et nous voici en présence d’une antonomase du nom propre devenue un nom commun.[13]
La boucle est bouclée ! Le nom « Madeleine » a connu une trajectoire similaire.
Mais pas le sandwich, qui est aussi une antonomase !
Pour conclure ce décryptage, nous vous souhaitons, au nom (commun ou propre) de toute l’équipe, un très bon week-end !
Hannibal LECTEUR, alias… l’Hannibal LECTEUR du décryptage…
En bonus : Serge Gainsbourg, L’Ami Caouette (1975)
[4] Dans ces cas précis, on peut les analyser aussi bien comme des métaphores (tel séducteur peut être comparé à Don Juan, etc.), que comme des métonymies (tel homme appartient au groupe des séducteurs, dont Don Juan est le symbole).
[5] D’après le lexicographe italien Ambrogio Calepino, auteur d’un dictionnaire en latin-italien publié pour la première fois en 1502.
[6] En souvenir des caricatures dessinées pour ridiculiser Étienne de Silhouette, un contrôleur des impôts du XVIIIe siècle.
[7] Le moteur Diesel tire son nom des travaux de l’ingénieur allemand Rudolf Diesel entre 1893 et 1897.
[8] D’après Louis Béchameil de Nointel, maître d’hôtel de Louis XIV, créateur de la fameuse sauce. Miam !
[9] L’unité de mesure du Système international d’unités de l’intensité du courant électrique. Elle doit son nom à André-Marie Ampère (1775-1836), mathématicien, physicien, chimiste et philosophe français.
[10] Le prénom est modifié, mais l’expérience ô combien réelle. 😉
[11] En physique, notamment en électricité, de nombreux noms d’inventeurs sont utilisés comme unités de mesure, telles que : un ampère (A) (André-Marie Ampère), un volt (V) (Alessandro Volta), un watt (W) (James Watt), un ohm (Ω) (Georg Ohm), etc…
[12] Quelques antonomases du nom propre, contenant le mot « saint », ont perdu leur majuscule en se lexicalisant : un saint-bernard, un saint-émilion, un saint-honoré, le saint-nectaire.
[13] Sources : LE ROBERT, Dictionnaire historique de la langue française & Wikipédia.